« Les médecins connaissent parfaitement les dangers des substances psychoactives, drogues ou médications diverses en mésusage ou surconsommation, et cependant, certains d’entre eux y succombent quand même, la plupart du temps pour résister, momentanément, pensent-ils, aux pressions d’une vie professionnelle harassante. » Dans un mémoire du DIU « pratiques addictives » de Grenoble*, le Dr Michèle Lefèvre -médecin de santé publique à l’ARS Rhône Alpes- a tenté de mieux cerner un phénomène dont on parle beaucoup ces derniers temps, à la faveur notamment du récent drame d’Orthez, dans lequel une anesthésiste est poursuivie pour la mort d’une femme lors d’une césarienne.
Selon ce travail, ils seraient 10 000 à 15 000 praticiens malades d’addictions en France, soit 5 à 10% du corps médical –en moyenne un par département- à 70% victimes d’alcoolisme. Dans les appels de professionnels de santé reçus par le réseau ASRA de Rhône-Alpes problèmes d’addiction sont de l’ordre de 4%, rapporte Michèle Lefevre : « cependant, estime-t-elle, il est clair qu’ils sont insuffisamment repérés probablement à cause des difficultés d’expression des médecins appelants, en grande souffrance et pouvant même être en situation de déni complet sur le sujet. » Enfin, en 2005, une étude du Collège français des anesthésistes réanimateurs estimait à 10,9% la proportion de ces spécialistes abuseurs ou dépendants à au moins une substance autre que le tabac, dont 59%à l’alcool et 41% aux tranquilisants et hypnotiques. L’auteur du mémoire fait la comparaison avec une étude régionale de l’ORS Rhône Alpes qui évalue à 17%, les patients, qui aussi bien en médecine générale qu’à l’hôpital « peuvent être considérées en alcoolisation excessive. »
Son premier constat est donc plutôt rassurant : « les médecins ne présentent donc pas de phénomènes d’addictions supérieurs à ceux de la population générale, » selon elle. Son mémoire montre pourtant que - tabou ou secret médical ?- la traçabilité du phénomène est bien difficile à établir s’agissant des médecins. Elle montre surtout que les conséquences sont souvent pires qu’en population générale. Ne serait-ce que parce que l’identification du problème est souvent plus tardive, car les praticiens sont souvent leur propre médecin traitant et redoutent le « quand dira-t-on ».
Michèle Lefevre, qui a enquêté aussi auprès de femmes victimes de violences conjugales, dont certaines femmes de médecins, souligne aussi l’importance du déni de l’alcoolisation, jusque dans l’entourage professionnel d’un praticien : « l’addiction d’un confrère reste encore hélas, souvent inconcevable au coeur d’une médecine moderne, quand ce n’est pas totalement tabou. Des propos culpabilisants ont parfois été adressés aux conjointes de ces médecins violents, excluant toute recherche de cause autre que celles de la sphère privée », note-t-elle.
Familles en souffrance, patientèle « pouvant être victimes d’erreurs diagnostiques et thérapeutiques graves »… Michèle Lefevre insiste sur les conséquences désastreuses des addictions dans le corps médical. Et les enquêtes qu’elle a menées soulignent le lien étroit qui existe entre burn-out et alcoolisation : « humains au service des autres, ils sont soumis à des risques d’addiction par épuisement professionnel, certains d’entre eux s’alcoolisant pour résister physiquement et psychiquement, » explique-t-elle.
Au final, si elle se félicite du développement des organisations d’aides aux médecins en difficulté (AAPML, MOTS, APSS, ASRA, IMHOTEP, SMART) et de leur structuration nationale en cours, elle se montre assez inquiète sur l’avenir, craignant une recrudescence d’addictions à la faveur de l’alcoolisation croissante constatée chez les jeunes : « la banalisation actuelle de l’alcool chez les jeunes, de façon régulière ou occasionnelle en grande quantité, peut faire redouter l’arrivée de jeunes médecins pouvant avoir un usage excessif bien différent de leurs ainés, » prévient-elle. Conclusion en forme de SOS qui incite à prendre le problème au sérieux. A fortiori parce qu’on ne connaît sans doute que la partie émergée de l’iceberg… Carence statistique que son mémoire évoque aussi entre les lignes.
Les associations de prise en charge
ASRA (Aide aux soignants de Rhône-Alpes) : 0 805 62 01 33
MOTS (Médecins, organisation, travail, santé) : 0608 282 589
IMHOTEP Haute Normandie 06 98 38 27 76
AAPML (Association d’aide professionnelle aux médecins libéraux)
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation