Un même traitement médical ne suffit pas à garantir une égale qualité de vie entre deux patientes : le statut socio-économique reste une des causes des inégalités tout au long du parcours de soins en oncologie, jusque dans l’après cancer, démontre une équipe franco-suisse (Université de Genève, Hôpitaux universitaires de Genève, Inserm et Gustave Roussy). Son influence est « majeure et durable, en dépit d’une prise en charge médicale identique », soulignent les auteurs, qui en tirent un plaidoyer pour prendre en compte les « déterminants socio-économiques lors de la planification globale des soins contre le cancer ».
Pour cette étude publiée dans Journal of Clinical Oncology, les chercheurs ont suivi 5 915 femmes de la cohorte française prospective Canto atteintes d’un cancer du sein précoce (non métastasé), fréquent, avec des taux de guérison de plus de 80 %. Ils ont analysé l’évolution de leur qualité de vie du moment du diagnostic jusqu’à 2 ans après.
En 2 ans, le score d’inégalité passe de 6,7 à 10
« La cohorte Canto est prévue pour un suivi de 6 ans. Aujourd’hui, nous avons une analyse sur 2 ans de l’évolution des différences de qualité de vie à moyen terme de toute la cohorte », explique Gwenn Menvielle, directrice de recherche à l’Inserm et à Gustave Roussy, au Quotidien.
Les auteurs ont pris en compte trois indicateurs de statut socio-économique : les difficultés financières auto-déclarées, le revenu du ménage et le niveau d’éducation. « La force de cette étude est que nous disposions de données très précises pour ces patientes, à la fois sur la clinique et sur la qualité de vie », ajoute Gwenn Menvielle. Parallèlement, les chercheurs ont établi des scores de qualité de vie, le QLQ-C30, à partir de cinq domaines – fatigue, état général, psychique, santé sexuelle et effets secondaires – , puis ont analysé leurs trajectoires en fonction des groupes socio-économiques. « La combinaison de scores de qualité de vie et des indicateurs socio-économiques a permis de déterminer un score d’inégalité où 0 représente l’absence d’inégalité », traduit la chercheuse.
Ainsi, parmi les 5 915 patientes incluses, les auteurs ont retrouvé des inégalités statistiquement significatives pour tous les indicateurs de statuts socio-économiques. Au diagnostic, le score d’inégalité est de 6,7 ; il passe à 11 durant le traitement et se maintient à 10, deux ans après le diagnostic, ce qui montre que les inégalités vont en s’accentuant dans le temps, sans revenir au niveau observé lors de l’annonce du cancer. « Ces résultats mettent en évidence que le statut socio-économique défavorable pèse sur la qualité de vie, bien que les patientes soient traitées de façon égale », interprète l’auteure senior. Ces résultats ont été ajustés sur l’âge au moment du diagnostic, l’indice de comorbidité de Charlson, le stade de la maladie et le type de traitement local et systémique.
« L’accès au soin n’efface pas les inégalités »
« Les femmes les plus défavorisées sont généralement diagnostiquées plus tardivement et reçoivent ainsi des traitements plus lourds, mais notre analyse montre que même en le prenant en compte, cela n’explique pas tout », analyse Gwen Menvielle. De plus, les scientifiques ont réalisé une analyse restreinte pour les femmes de la cohorte incluses dans d’autres essais thérapeutiques : « aucune différence avec les résultats principaux » n’est retrouvée. « Avoir le temps, l’argent et l’accès à l’information pour prendre soin de soi et trouver des ressources de soutien et mieux gérer les effets secondaires physiques et psychologiques de la maladie sera probablement plus facile pour les femmes de statut socio-économique élevé que pour, par exemple, une mère de famille monoparentale à faible revenu, sans relais pour ses enfants, commente dans un communiqué José Sandoval, oncologue (HUG, UNIGE) et premier auteur. Ces éléments influent sur la maladie et ses conséquences pour la santé physique et psychique des patientes. »
S’il existe, en France, une culture curative, Gwen Menvielle déplore les carences en matière de prévention et de soutien global. Si bien que l’accès aux soins ne permet pas d’effacer les inégalités. Alors que le projet de proposition de loi sur la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein a été transmis au Sénat le 31 mai 2024, avant la dissolution de l’Assemblée nationale, les auteurs appellent à une meilleure prise en compte des déterminants socio-économiques dans les programmes de soutien aux femmes atteintes d’un cancer du sein. « Nos données concernent des femmes soignées en France, un pays pourtant très égalitaire en matière d’accès aux soins. Dans des pays sans système de santé universel, ces inégalités risquent d’être encore plus prononcées », craignent les auteurs.
L’étude Canto est financée par l’ANR et soutenue par Unicancer. Aujourd’hui, 80 % des patientes de la cohorte ont terminé le suivi à 6 ans.
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