Non, le débat sur le dépistage systématique du cancer de la prostate (CP) n’est pas définitivement enterré. Et si, en France, la controverse fait moins de bruit en France depuis que la HAS s’est définitivement prononcée contre, la question suscite toujours autant de discussions hors de nos frontières.
En témoignent les échanges qui ont eu lieu sur ce sujet lors du récent congrès de l’European Asocciation of Urology (EAU, Stockholm, 11-15 avril 2014). Comme l’a rappelé le Pr Per-Anders Abrahamsson (Suède), l’étude européenne ERSPC a mis en évidence un effet favorable du dépistage avec, pour un suivi médian de 11 ans, une réduction de 21% de la mortalité. Mais ce bénéfice n’a pas été retrouvé dans l’essai américain PLCO. « Cette différence serait lié au nombre de patients ayant déjà bénéficié d’un dosage du PSA hors essai, plus élevé aux Etats-Unis », estime l’urologue suédois qui plaide pour un dépistage dès 45 ans, le diagnostic précoce permettant, selon lui, grâce aux progrès de l’imagerie et de la thérapeutique de réduire la mortalité spécifique liée au CP, très élevée en Europe du Nord. Et de rappeler aussi « qu’à l’ère pré-PSA, beaucoup de cancers étaient diagnostiqués à un stade trop tardif et qu’un patient sur deux ou trois décédait de sa maladie ».
Cependant, tempère le Dr Tai Lung- Cha (Taiwan), « on ne peut omettre le risque de surdiagnostic et de surtraitement avec leurs complications, l’impact psychologique pour les patients, le rapport coût-efficacité élevé ». Mais l’enjeu est différent en Asie où l’incidence du CP est plus faible.
Vers une stratification du risque de cancer de la prostate ?
Tout en soulignant que le dépistage par le PSA ne doit pas être arrêté, malgré les voix qui s’élèvent contre lui, le Dr Monique Roobol (Pays-Bas) estime pour sa part qu’il faut privilégier un dépistage sur mesure, basé sur l’évaluation du risque qu’a chaque individu de développer un CP et son acceptabilité vis-à-vis du sur-diagnostic et du sur-traitement potentiel. Ses mots clés sont « stratification du risque, consentement éclairé et prise de décision partagée », ce qui suppose de délivrer au patient et à son médecin traitant des informations fiables leur permettant de peser clairement les avantages et les inconvénients du dépistage. Pour cette spécialiste, on pourrait se déterminer en fonction du terrain (moins de 75 ans, espérance de vie supérieure à 10 ans, histoire familiale de cancers de la prostate, origine africaine). Un peu à l’image de ce que propose d’ailleurs l’AFU en France. D’autres facteurs de risque sont à préciser, comme le tabagisme qui multiplie par deux le risque de cancer agressif, ou l’obésité, qui majore le risque de CP avancé.
Les spécialistes tendent aussi à affiner les stratégies en aval du dosage du PSA. Depuis des années, plusieurs biomarqueurs potentiels passent au crible de la recherche. Le rapport PSA libre/total, le PCA3 (Prostate Cancer Antigen 3), les isoformes du PSA comme le [-2]proPSA ou la kallikréine humaine de type 2 (hK2) plus spécifiques du CP que le PSA ou encore l’α2-integrin, l’EZH2 (Histone-lysine N-methyltransferase) pourraient guider la décision de réaliser ou non une deuxième biopsie après une première biopsie négative, malgré une suspicion de cancer. On attend aussi beaucoup de l’amélioration des techniques d’imagerie. De nombreuses études s’articulent autour de l’intérêt de l’IRM, réalisée devant un taux élevé de PSA, dont la normalité éviterait de pratiquer une biopsie. « La décision de réitérer le dosage du PSA ou de demander une biopsie de la prostate devrait se baser sur la combinaison de divers facteurs prédictifs, avec des abaques du type de ceux exposés dans www.prostatecancer-riskcalculator.com », conclut l’urologue.
Un marqueur plus inattendu pourrait faire son entrée dans l’évaluation de l’évolution du CP. Une étude japonaise a montré chez 555 patients une diminution de 35% du taux de récidive chez les hommes de groupe sanguin O par rapport au groupe A. Des différences avaient déjà été constatées entre les groupes sanguins pour le cancer de l’estomac ou du pancréas. C’est un argument en faveur d’un lien fort avec des facteurs génétiques, à confirmer par des études plus larges qui devront aussi faire la part de ce qui revient à la distribution géographique des groupes.
Des inquiétudes sur la « surveillance active »
Une surveillance active est préconisée devant un cancer à croissance lente que l’on décide de ne pas traiter pour limiter la iatrogénie de la chirurgie ou de la radiothérapie. Une étude menée en Suisse a suivi 157 patients pendant 13 ans. Parmi ceux ne relevant pas d’une surveillance active, 27% ne se sont pas présentés aux examens de contrôle, malgré les courriers de convocation et 19% ont refusé une biopsie de confirmation après une première biopsie suspecte. Pour le Dr Lukas Hefermehl, « La taille de cette étude est limitée ; elle ne doit pas nous faire renoncer à la surveillance active mais nous incite à réfléchir et à interroger nos patients pour prendre en compte les facteurs psychologiques ou autres qui constitueraient un frein à ce suivi ».
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