Comme chaque année, le numéro du BMJ qui précède la semaine de Noël propose des pastiches de travaux de recherche scientifiques. Voici un exemple de la dérision et de l’humour Anglo-Saxon en provenance de Boston (USA) avec un article sur la corrélation entre pluviométrie et douleurs articulaires ou lombaires.
CONTEXTE
A l’image de la grenouille des météorologistes, la vox populi (en particulier celle des seniors) proclame que les variations climatiques (pluie, humidité, température) provoquent ou aggravent les douleurs articulaires et/ou les lombalgies. Plusieurs travaux ont tenté de valider ce dicton, mais les effectifs et leur niveau de preuve étaient si faibles que les résultats n’ont convaincu personne (1,2).
OBJECTIFS
Évaluer la corrélation statistique entre les douleurs articulaires ou lombaires alléguées par les patients et les périodes de pluie sur plusieurs millions de consultations en médecine générale.
METHODE
Etude rétrospective ayant inclus 20% de toutes les consultations de patients âgés de 65 ans ou plus recueillies dans deux bases de données du système Medicare entre 2008 et 2012.Par ailleurs les données du Global Historical Climatology Network, qui collige les précipitations pluvieuses via 3 257 stations météo réparties sur le territoire, ont été récupérées pour la même période.
Pour combiner ces deux bases de données, les données de latitude et longitude de la résidence de chaque bénéficiaire de Medicare ont été appariées avec la station météo la plus proche dans la limite de 48,28 kilomètres (30 miles).
Toutes les plaintes de douleurs articulaires ou lombaires ont été codées, (classification ICD-9), et incluses quelle qu’en soit la cause : arthrose, ou pathologies rhumatismales inflammatoires, à l’exception des douleurs post-traumatiques.
Le critère de jugement principal était la proportion de patients consultant pour douleurs articulaires pendant les périodes de pluie (par jour ou par semaine) comparée à celle sans pluie. Les analyses statistiques ont utilisé un modèle linéaire multivarié dans lequel la plainte pour douleur articulaire était une fonction de la pluviométrie, stratifiée sur l’âge, le genre, le diagnostic d’arthrose (ou de pathologie inflammatoire), la quantité de pluie (tous les 2,54 mm) et la région.
RESULTATS
L’échantillon a inclus 11 673 392 consultations dont 2 095 061 ont eu lieu en période de pluie.
Les caractéristiques des patients consultant en période de pluie étaient comparables à celles de ceux consultant en période sèche. La proportion de patients consultant pour plainte douloureuse articulaire ou lombalgie était de 6,35% pendant les périodes de pluie et de 6,39% pendant les périodes sèches : différence ajustée = 0,04% ; IC95% = -0,07 ; +0,001 (ns).
Les résultats étaient identiques pour chaque millimètre de pluie enregistré : correspondant à 0,32% consultation en plus (IC95% = -1,55 ; +1,63) par million de patients, p = 0,95.
Enfin, il n’y avait pas de différence ni selon le nombre de jours de pluie par semaine, ni selon la nature de la pathologie sous jacente arthrosique ou inflammatoire, ni selon l’âge, le genre ou la région.
COMMENTAIRES
Ce travail américain, qui a « naturellement » vu grand, conclut que la pluviométrie n’a pas d’impact sur les plaintes douloureuses articulaires ou lombaires.
Cependant, cette étude rétrospective sur bases de données plus ou moins bien renseignées et sur plusieurs millions de consultations n’est pas exempte de biais. Par exemple, la consommation d’antalgiques (y compris en automédication) des patients est inconnue, tout comme l’intensité de leur douleur mesurée par une échelle visuelle analogique, même si l’utilité de cette dernière est discutable (3). Il ne tient pas compte non plus de la sensibilité individuelle à la douleur qui fait qu’un patient décide de consulter ou pas, ni de la température (autre dicton facteur confondant) avec ou sans pluie. Autre exemple, la date de la consultation est bien renseignée, mais pas celle du début de la douleur ce qui interdit l’évaluation de l’interaction pluie/douleur. Par ailleurs, un New-Yorkais en voyage à Los Angeles en octobre ne consultera pas par beau temps, alors qu’il l’aurait peut-être fait s’il était resté chez lui, et inversement.
En pratique, ce n’est cette étude qui peut modifier la tendance des populations âgées à envisager des interactions météorologiques supra lunaires là où il n’y en a peut-être pas (4). Laissez-les vivre.
1- Timmermans EJ, Schaap LA, Herbolsheimer F. The Influence of Weather Conditions on Joint Pain in Older People with Osteoarthritis: Results from the European Project on Osteoarthritis. J Rheumatol 2015;42:1885-92.
2- Smedslund G, Hagen KB. Does rain really cause pain? A systematic review of the associations between weather factors and severity of pain in people with rheumatoid arthritis. Eur J Pain 2011;15:5-10.
3- Huas D, Pouchain D, Gay B, Avouac B, Bouvenot G. Assessing chronic pain in general practice: Are guidelines relevant? A cluster randomized controlled trial. EJGP 2006;12:52-7.
4- Redelmeier DA, Tversky A. On the belief that arthritis pain is related to the weather. Proc Natl Acad Sci U S A 1996;93:2895-6.
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