Comment le vieillissement interfère-t-il avec le développement d’un cancer ? Des chercheurs du Francis Crick Institute (Londres), de Gustave-Roussy (Villejuif) et du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (MSK, New York) mettent en lumière dans les cancers solides le rôle protumoral de l’hématopoïèse clonale de signification indéterminée (Chip pour clonal hematopoiesis of indeterminate potential).
Ces cellules du sang porteuses d’anomalies génétiques liées à l’âge peuvent infiltrer les cancers solides – un phénomène que les auteurs ont nommé hématopoïèse clonale infiltrant la tumeur (TI-CH pour tumor-infiltrating clonal hematopoiesis) – et influencer leur évolution, entraînant un pronostic plus défavorable pour les patients. C’est ce que montre cet essai international dans le cancer du poumon sur les données de plus de 400 patients (études Tracerx et Peace) ainsi que dans d’autres tumeurs malignes solides à partir d’une cohorte de 49 000 patients suivis au MSK. Les résultats sont publiés dans The New England Journal of Medicine (1).
« Nous avons pu mettre en évidence une interaction jusque-là insoupçonnée entre le vieillissement hématopoïétique et l’évolution tumorale », souligne dans un communiqué du Crick Elsa Bernard, chercheuse à Gustave-Roussy et première autrice de l’étude. Ce à quoi enchérit son co-premier signataire Oriol Pich, chercheur postdoctoral au Crick : « [Nos résultats sont] importants car la Chip est un phénomène naturel du vieillissement, fréquent chez les patients atteints de cancer ».
Si la Chip est de « signification indéterminée », elle n’est pas innocente. La Chip est connue pour être associée à un risque accru de cancers myéloïdes (syndrome myélodysplasique, leucémie aiguë myéloïde) mais aussi à des maladies non tumorales liées à l’âge qui deviennent plus fréquentes et plus agressives (maladies cardiovasculaires, goutte, artérite cellules géantes, hépatopathies chroniques, etc.). Ce n’est que plus récemment que cette instabilité génétique a aussi été corrélée à une augmentation du cancer du poumon et à une hausse de la mortalité dans les cancers solides.
La TI-CH plus fréquente dans certains cancers
Dans ce travail, les chercheurs ont analysé à la fois l’effet de la Chip et de la TI-CH sur le pronostic des patients avec un cancer solide. Dans la cohorte Tracerx sur le cancer du poumon, l’équipe a d’abord constaté à partir d’échantillons de sang que ces mutations étaient associées à une espérance de vie plus courte, quel que soit l’âge du patient ou le stade du cancer au moment du diagnostic, même si l’âge était la seule variable retrouvée dans la survenue de Chip. Un tiers des patients présentaient une Chip avec une survie médiane globale de quatre ans (contre six ans pour les patients sans Chip).
Parmi les patients avec une Chip, l’équipe a observé que ces cellules sanguines mutées infiltraient le cancer du poumon dans 42 % des cas. Il est apparu, de plus, que c’était bien la TI-CH, et non la Chip seule, qui était associée à un risque accru de rechute et de décès par cancer. Cette observation a été confirmée dans des échantillons de l’étude Peace, qui portait en post mortem sur les sites de dissémination métastatique : les métastases contenaient des mutations TI-CH.
L’équipe a validé ses résultats sur une cohorte du MSK (cohorte pan-cancer MSK-Impact) totalisant plus de 49 000 patients atteints de 75 types différents de cancer. Globalement, la présence de TI-CH (dans 26 % des cas de Chip) était un facteur indépendant prédictif de survie diminuée. Cependant, la fréquence des Chip et des TI-CH variait selon les types de cancer. Ces mutations étaient plus fréquentes dans les cancers réputés difficiles à traiter, comme les mésothéliomes, les cancers du poumon, ORL et du pancréas. La TI-CH était fréquente dans les métastases, mais pas pour autant présente dans chacune, même chez un même patient.
Pour mieux comprendre le lien entre TI-CH et mauvais pronostic, les chercheurs ont analysé la composition cellulaire des tumeurs pulmonaires. Il ressort que les patients avec TI-CH présentaient une expansion des cellules myéloïdes. « Contrairement à d’autres cellules immunitaires capables de détecter et combattre le cancer, les cellules myéloïdes régulent l’inflammation et peuvent favoriser la progression et la dissémination tumorale », lit-on dans le communiqué.
Autre découverte, les mutations affectant le gène TET2, un régulateur essentiel de la production des cellules sanguines, étaient particulièrement susceptibles d’infiltrer les tumeurs. À l’aide d’organoïdes reproduisant des mini-tumeurs pulmonaires, l’équipe a prouvé expérimentalement que ces cellules myéloïdes mutées sur TET2 « modifiaient le micro-environnement tumoral et accéléraient la croissance des organoïdes ».
Contrer l’inflammation
L’ensemble de ces données met en lumière « les interactions complexes entre l’expansion liée à l’âge de l’hématopoïèse clonale et les cellules inflammatoires au sein du micro-environnement des tumeurs solides », soulignent les Drs Lachelle Weeks et Benjamin Ebert, tous deux oncologues au Dana-Farber Cancer Institute, à Boston, dans un éditorial associé (2).
Ces résultats ouvrent la voie à de nouvelles approches prédictives du risque de rechute ou de progression du cancer
Elsa Bernard, chercheuse à Gustave-Roussy
La piste anti-inflammatoire pourrait-elle alors se révéler efficace ? Les auteurs et les éditorialistes reviennent sur le canakinumab, un anti-interleukine-1bêta, testé en cardiovasculaire dans l’essai Cantos. Des arguments plaident en sa faveur : les macrophages mutés pour TET2 sécrètent des taux élevés d’interleukine-1bêta et le canakinumab a diminué la survenue de cancer du poumon parmi les participants de Cantos. Un bémol toutefois : cette voie s’est révélée inopérante dans le cancer du poumon établi. Les éditorialistes proposent de tester l’anticorps monoclonal selon le génotype de la TI-CH, et les auteurs de s’intéresser à l’ensemble des cytokines augmentées en cas de mutation TET2.
Dans leurs conclusions, ils espèrent ainsi des « interceptions thérapeutiques » et « des stratégies de prévention pour diminuer la prolifération clonale et l’inflammation tissulaire ». Dans l’immédiat, « ces résultats ouvrent la voie à de nouvelles approches prédictives du risque de rechute ou de progression du cancer », estime Elsa Bernard.
Avec un communiqué du Francis Crick Institute
(1) O. Pich et al., N Engl J Med, 2025;392:1594-1608
(2) L.D. Weeks et al., N Engl J Med, 2025;392:1654-1656
Les statines semblent améliorer la survie dans deux cancers du sang
Estro 2025 : du nouveau pour la désescalade en radiothérapie
Le taux de micro/nanoplastiques dans l’athérome carotidien est associé à la sévérité des symptômes
Dans la cholécystite, la chirurgie reste préférable chez les sujets âgés