Une insuffisance cardiaque (IC) expose à un surrisque de développer un cancer, en particulier du poumon, du colon ou du sang, et, ce, indépendamment des facteurs de risque individuels, révèle une étude française. Selon le système national des données de santé (SNDS), 16,5 % des nouveaux cas de cancers pourraient être imputés à une insuffisance cardiaque préexistante.
« Les résultats de cette étude (1) appellent à une révision des pratiques cliniques via une meilleure intégration du dépistage oncologique dans le suivi des patients insuffisants cardiaques », indique l’équipe de la fédération hospitalo-universitaire Prevent Heart Failure (hôpital européen Georges-Pompidou AP-HP, Inserm et université Paris-Cité), qui publie ses travaux dans l’European Journal of Preventive Cardiology.
Ces deux pathologies ont des facteurs de risque et des voies pathogéniques communs
Pr Jean-Sébastien Hulot, cardiologue et pharmacologue
« Le cancer et l’insuffisance cardiaque ont des facteurs de risque et des voies pathogéniques communs », expose le Pr Jean-Sébastien Hulot, cardiologue et pharmacologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou (Paris), et coordinateur de Prevent Heart Failure, programme s’intéressant à la détection de l’insuffisance cardiaque. « Dans ce cadre, nous avons également mis en place un module de cardio-oncologie qui se penche sur les répercussions du cancer et des traitements anticancéreux sur le cœur. »
C’est à la suite des travaux précliniques d’une équipe néerlandaise (2) dirigée par Rudolf de Boer que l’équipe du Pr Hulot s’est intéressée au risque de cancer chez les personnes atteintes d’insuffisance cardiaque. Lors de leurs expériences chez l’animal, la greffe du cœur d’une souris insuffisante cardiaque avait augmenté le risque de cancer chez un modèle murin à risque de tumeur intestinale précancéreuse. « L’hypothèse des Néerlandais était que le cœur malade et fatigué sécrète des facteurs prolifératifs – comme la SerpinA3 impliquée dans le remodelage cardiaque – qui pourraient favoriser la croissance d’une tumeur, détaille le médecin à double spécialité. Nous voulions ainsi vérifier cette association chez l’humain et préciser quels cancers pouvaient être concernés. »
Un risque de décès accru de 33 %
L’étude a inclus les données de 330 867 patients adultes français hospitalisés pour un premier épisode d’insuffisance cardiaque entre 2010 et 2019 (âge moyen au diagnostic de 77,7 ans), appariés chacun à trois témoins sans insuffisance cardiaque ni cancer préexistants. Les patients avec une IC étaient plus volontiers atteints d’une cardiopathie ischémique, d’une hypertension artérielle, d’une insuffisance rénale, de diabète ou d’obésité et avaient, pour 41,1 %, d’entre eux, une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) inférieure à 50 %. La consommation de tabac ou d’alcool était aussi plus fréquente dans le groupe IC que dans le contrôle.
À l’issue d’un suivi moyen de 4,3 ans, les auteurs retrouvent une incidence annuelle du cancer chez le groupe IC de 21,9 pour 1 000 personnes-années contre 17,4 chez les témoins. Le surrisque persistait après ajustement sur l’âge, le sexe, la consommation d’alcool et de tabac, le lieu de résidence et les comorbidités majeures (HR = 1,07). « Bien que l’association persiste après ajustement, nous ne pouvons pas écarter le fait que ces comorbidités puissent avoir un rôle additionnel dans la survenue du cancer », commente le Pr Jean-Sébastien Hulot.
Concernant la localisation tumorale, les auteurs retrouvent, dans le groupe IC, 14 % de cancers du sein chez la femme, 13,7 % de cancers du côlon et 8,7 % de cancers du poumon ; et, dans le groupe témoin, 14 % de cancers du sein, 12,3 % de cancers du côlon et 6,1 % de cancers du poumon. L’augmentation de l’incidence était plus marquée pour les cancers solides : cancer du poumon (HR = 1,42), colorectal (HR = 1,22) et du sang (HR = 1,22) (en particulier le myélome multiple). De plus, les patients insuffisants cardiaques ayant développé un cancer présentaient un risque de décès accru par rapport aux patients atteints de cancer sans IC (HR = 1,33). Si les chercheurs estiment que 16,5 % des nouveaux cas de cancer sont attribuables à l’IC chez ces patients, ils n’évoquent toutefois pas de lien de causalité direct.
Plusieurs hypothèses identifiées
Les chercheurs ont identifié deux hypothèses pour expliquer comment l’insuffisance cardiaque et le cancer pourraient être liés. « La première rejoint l’hypothèse expérimentale des Néerlandais. D’autant plus qu’il existe des marqueurs partagés entre le cancer et l’insuffisance cardiaque, pouvant indiquer des voies biologiques communes », décrit le Pr Jean-Sébastien Hulot.
Il pourrait exister une dysimmunité qui se manifesterait d’abord par une insuffisance cardiaque puis par un cancer
Pr Jean-Sébastien Hulot
La deuxième est génétique. « L’acquisition, avec le vieillissement, de mutations somatiques – hématopoïèse clonale de signification indéterminée, dite Chip – donne naissance à des lignées de globules blancs mutés associés au risque cardiovasculaire, dont l’IC, mais également au risque de cancer du sang. Il pourrait exister chez ces patients une dysimmunité qui se manifesterait tout d’abord par une IC puis par un cancer, poursuit-il. Cette hypothèse serait particulièrement pertinente avec le signal fort que nous retrouvons de myélome multiple. »
Imagerie thoracique et dosages biologiques
« Notre étude a permis d’identifier une association entre l’IC et un surrisque de cancer. C’est une donnée nouvelle qui incite à réfléchir à intégrer des actions de prévention et de dépistage dans le suivi des insuffisants cardiaques, interprète le Pr Hulot. Les patients insuffisants cardiaques sont déjà à haut risque, encore plus s’ils développent un cancer, c’est une bonne raison pour le détecter au plus tôt. »
Le dépistage des cancers pourrait s’appuyer sur les examens de suivi en cardiologie
La prise en charge des patients insuffisants cardiaques ayant développé un cancer devra ainsi prendre en compte la cardiotoxicité des traitements et le fardeau cardiovasculaire inhérent au cancer lui-même. Mais, au-delà des traitements, les recommandations pourraient optimiser les examens de suivi utilisés en cardiologie, tels que l’imagerie thoracique ou les dosages biologiques. « L’imagerie pourrait rechercher systématiquement la présence de tumeurs et le dosage des marqueurs oncogéniques pourrait être ajouté aux bilans sanguins, entre autres », conclut le Pr Hulot.
(1) M. Mirabel et al., European Journal of Preventive Cardiology, 2025. DOI : 10.1093/eurjpc/zwaf152
(2) W.C. Meijers et al., Circulation, 2018. DOI : 10.1161/CIRCULATIONAHA.117.030816
L’ovéporexton, une nouvelle molécule efficace dans la narcolepsie de type 1
Handicap sévère et adolescence : une délicate transition à anticiper
IHU Méditerranée Infection : des progrès notables mais insuffisants, selon le Hcéres
Chikungunya : l’épidémie en baisse à La Réunion, nouvelle phase du plan Orsec à Mayotte