Si les pénuries de produits de santé ont été largement médiatisées ces derniers temps, leurs conséquences sur la santé des patients n’ont été que peu étudiées jusqu’ici. Le réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance vient d’apporter sa pierre à l’édifice, en dévoilant lors du congrès de la Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique (Lille 14 au 16 juin) les résultats de l’étude CIRUPT, dont la publication scientifique est en cours de soumission. Financée par le CHU d’Angers et pilotée par les centres de pharmacovigilance d’Angers, Dijon et Limoges, l’étude a cherché à évaluer la iatrogénie induite par les ruptures de stock et tensions d’approvisionnement en médicaments entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021.
224 signalements passés au crible
« Tous les signalements (de pharmacovigilance) enregistrés par les CRPV et pour lesquels il y avait un contexte de rupture de stock ou de tension d’approvisionnement pendant la période d’étude ont été revus un par un, précise le Dr Aurélie Grandvuillemin responsable adjointe du CRPV de Bourgogne, afin d’établir un lien de causalité entre la rupture de stock et la survenue d’un effet indésirable ».
Au total, 224 signalements, majoritairement déclarés par des professionnels de santé, ont été identifiés. Pour 36 dossiers, l’évènement rapporté n’était relié à aucune conséquence néfaste. A contrario, près d’un tiers des cas étaient graves.
Dans la quasi-totalité des situations, le médicament en rupture avait pu être remplacé par une alternative thérapeutique. Mais au prix de l’apparition d’une toxicité dans 64 % des cas, d’une inefficacité du médicament administré en relais (voire d’aggravation de la maladie) dans 20 % des cas ou encore d’une erreur médicamenteuse (majoritairement non compliquée) dans 23,5 % des cas, à type d’erreur de dose, de dilution mais aussi d’indication.
Différents médicaments impliqués
La iatrogènie induite par les ruptures de stock, se mesurait sur tous les médicaments, qu’ils soient considérés comme essentiels ou non. Les principaux médicaments impliqués recouvraient aussi bien des vaccins antigrippaux (remplacés par des vaccins hautes doses parfois en dehors de leurs indications) avec survenue de réactions bénignes au point d’injection et syndromes pseudo-grippaux, que des antihistaminiques H2, avec des échecs de prémédication en prévention de réactions allergiques à certaines chimiothérapies anticancéreuses. Voire des anticancéreux, pour lesquels l’alternative thérapeutique a entraîné des erreurs médicamenteuses.
Les psychotropes étaient aussi concernés, le changement de molécule se révélant inefficace ou induisant des effets indésirables, avec une toxicité propre. Dans certains cas, le switch a même occasionné la survenue d’interactions médicamenteuses entre le produit introduit et les autres traitements du patient, alors que la molécule initiale ne posait pas de problème de compatibilité. Quelques rares cas de sédation insuffisante en pleine anesthésie ont également été rapportés suite au remplacement, en période de Covid, de molécules type propofol, curares, midazolam, par d’autres anesthésiants ou des médicaments importés, observe l’étude.
Vigilance sur les psychotropes
Si elle n’est pas exhaustive, cette première photographie « n’a globalement pas mis en évidence de choses alarmantes », analyse le Dr Grandvuillemin. Même pour des médicaments sensibles comme les antinéoplasiques, la plupart des erreurs médicamenteuses notifiées n’étaient assorties d’aucun effet indésirable, « ce qui est plutôt rassurant ».
En ville, les psychotropes constituent toutefois un point d’attention. « C’est probablement la classe thérapeutique sur laquelle il faut être particulièrement attentif quand il y a une rupture pour encadrer au mieux le switch, d’autant qu’il peut y avoir, en plus du risque de nouvelles interactions, d’effets indésirables supplémentaires ou de déséquilibre de la maladie, un impact psychologique important lié au changement des habitudes ».
Au final ce travail « souligne l’importance du choix des alternatives thérapeutiques possibles et de l’information qui doit être délivrée lors des ruptures de stock ». Et doit encourager « à poursuivre les remontées d’informations par les professionnels de santé, pour renforcer la surveillance et l'évaluation des conséquences iatrogènes des ruptures de stock. »
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