Chamboule tout pour le palu
Comme chaque année à la même époque, le Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation (CMVI) du HCSP a publié début juin, de nouvelles recommandations sanitaires aux voyageurs (BEH n° 21-22). Par rapport à la version 2014, cette nouvelle feuille de route revisite en profondeur la chimioprophylaxie du paludisme. La stratégie « classique » basée sur les trois zones de résistances cède la place à une approche plus fine qui précise en toutes lettres, pour chaque pays, le type de chimioprophylaxie recommandée en fonction des résistances observées mais aussi, désormais, en fonction du risque de transmission. Pour cela, « l’identification du pays de destination est insuffisante et il faut aussi tenir compte de la région visitée, de la saison et des conditions de séjour », précisent les experts.
[[asset:image:6066 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Par exemple, pour un court séjour, inférieur à 7 jours, en zone de faible risque de transmission, la chimioprophylaxie n’est pas indispensable, « à condition de respecter scrupuleusement les règles de protection anti-moustiques et d’être en mesure, durant les mois qui suivent le retour, de consulter en urgence en cas de fièvre, en signalant la notion de voyage en zone d’endémie ». Autre nuance introduite cette année, pour certaines destinations d’Asie et d’Amérique tropicale globalement à faible risque, le traitement préventif n’est plus indiqué qu’en cas de « soirées ou nuitée(s) » dans telle ou telle zone jugée plus à risque (zone rurale par exemple). « Nous sommes ainsi passés d’une approche macrogéographique à une approche microgéographique » résume le Pr Eric Caumes, président du CMVI.
Une évolution « qui devrait globalement aller dans le sens d’un allégement de la chimioprophylaxie anti-palustre », poursuit le Pr Caumes et coller ainsi davantage aux évolutions épidémiologiques du paludisme qui a nettement reculé depuis une dizaine d’années. Car, actuellement, « les gens prennent sans doute trop de chimioprophylaxie pour des endroits où, le plus souvent, il n’est pas utile d’en prendre ».
Si la tendance est à l’allégement et à la nuance pour la chimioprophylaxie du paludisme, la simplification, en revanche, n’est pas au rendez-vous. « On peut reprocher à ces nouvelles recommandations de manquer un peu de simplicité », reconnaît le Pr Caumes. Cependant, « elles ont été testées dans des centres internationaux de médecine du voyage et, a priori, cela ne pose aucune difficulté ».
Envisagé un temps, le scénario consistant à abandonner purement et simplement la chimioprophylaxie au profit d’un traitement présomptif à prendre « au cas où », pour les séjours où le risque de contracter le paludisme apparaîtrait potentiel ou très faible, aurait sûrement été plus simple, du moins sur le papier. Il n’a finalement pas été retenu car « dans la pratique, cela peut devenir compliqué voire même dangereux, estime le Pr Caumes, puisqu’on transfère la responsabilité de la prise en charge sur le voyageur. Au risque de le conduire à se traiter pour un palu alors qu’il a une pneumonie ! ». Selon les nouvelles recos, cette option doit donc rester l’exception et ne s’impose qu’en l’absence de possibilité de prise en charge médicale dans les 12 heures suivant l’apparition de la fièvre.
« Il faut rester vigilant, conclut le Pr Caumes, car les moustiques sont toujours là, tandis que la protection antivectorielle n’est plus aussi efficace qu’avant, avec notamment une large résistance des moustiques aux insecticides dans les pays tropicaux et que l’on voit apparaître des résistances aux nouveaux antipaludéens. »
Vaccination : focus sur la polio
Côté vaccination, les recommandations 2015 instaurent peu de changements par rapport à l’an dernier. Avec, toutefois un focus inédit sur la vaccination antipoliomyélitique qui fait l’objet de recommandations particulières pour plusieurs pays où une circulation active de virus polio sauvages est observée actuellement. A savoir : l’Afghanistan, le Cameroun, l’Ethiopie, la Guinée équatoriale, l’Irak, Israël, le Nigeria, le Pakistan, la Somalie et la Syrie. Pour ces dix destinations, la vaccination doit dater de moins d’un an pour prévenir le portage, ce que ne fait pas une vaccination plus ancienne (sauf vaccination avec le vaccin polio atténué dont on ne dispose pas en France). « L’idée est de ne pas ramener le virus polio dans son tube digestif pour ne pas contaminer l’environnement et ne pas être à l’origine d’une nouvelle épidémie dans leur pays d’origine. »
Mollo sur les antibios
Au-delà du paludisme, les recos 2015 mettent aussi l’accent, dans la lignée des précédentes, sur les risques d’importation de maladies infectieuses au premier rang desquelles les infections à bactéries hautement résistantes et émergentes (BHRe), avec plusieurs chapitres dédiés.
Jusqu’à présent le risque semblait circonscrit aux voyageurs ayant été hospitalisés dans des pays à risque et le HCSP incitait à dépister de façon systématique à l’hôpital, tout patient ayant été hospitalisé à l’étranger dans l’année qui précède son hospitalisation en France. « Or on se rend compte qu’il suffit, en fait, d’avoir voyagé à l’étranger pour être porteur de bactéries multirésistantes qui peuvent ensuite se transmettre dans la communauté et être responsable d’infections urinaires, digestives, etc., rapporte le Pr Caumes, avec, rien que le mois dernier trois articles publiés sur ce sujet ». Le voyage constitue donc un facteur de risque en soi. Le risque est majoré en cas de diarrhée pendant le séjour et est encore accru en cas de traitement antibiotique associé.
Faut-il alors lever le crayon sur les prescriptions d’antibiothérapies empiriques ? « Il est encore trop tôt pour prendre une décision, répond le Pr Caumes, mais, dans un tout récent congrès, les Américains disaient déjà qu’il allait falloir arrêter de traiter la diarrhée des voyageurs par antibiotiques. Alors qu’autrefois on traitait ainsi toutes les turistas, même si elles n’étaient pas d’évidence bactériennes, on est en train de basculer dans le sens inverse, exactement comme dans l’angine. Mais cela mettra un peu de temps avant de se formaliser ».
Pour le moment, les recommandations concernant la turista restent donc « classiques ». En l’absence de possibilités de consultation rapide et de diagnostic étiologique, une antibiothérapie empirique (avec une fluoroquinolone ou l’azithromycine) est indiquée « dans les formes moyennes ou sévères, fébriles ou avec selles glairo-sanglantes (syndrome dysentérique) ». En Asie, en raison d’un niveau élevé de résistance des shigelles, des salmonelles et de Campylobacter aux fluoroquinolones, l’azithromycine est recommandée (hors AMM) en première intention. Partout ailleurs, la préférence sera donnée chez l’adulte à une fluoroquinolone.
« Dans le contexte croissant de l’antibiorésistance pour des germes communs ou des pathologies du voyage, il paraît important de ne délivrer des antibiotiques qu’en formulant certains conseils : ils doivent être utilisés en cas d’accès aux soins limité et toute antibiothérapie nécessite un diagnostic médical », précise toutefois les recommandations.
La lutte anti-vectorielle au premier plan
Toujours dans le domaine des maladies d’importations, les nouvelles recos mettent aussi l’accent sur les risques liés aux arboviroses et leur prévention. « Avec l’implantation d’Aedes albopictus (ou moustique tigre) qui remonte vers le Nord, on est désormais dans des conditions idéales pour avoir une épidémie de chikungunya, de zika voire même de dengue en métropole », alerte le Pr Caumes. Pour le voyageur, cela implique qu’il se protège de manière plus sérieuse contre les piqures d’insectes à la fois pour lui mais aussi pour les autres. »
[[asset:image:6081 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Au cours de ces dernières années « la lutte anti-moustique a donc vraiment pris de l’importance à cause des arboviroses mais aussi parce qu’on sait que c’est une très bonne méthode de lutte contre le paludisme ». Désormais, les recommandations distingue les moustiques diurnes des espèces nocturnes et détaille dans chaque cas l’efficacité des différentes mesures de protection. « Pour se protéger des moustiques qui piquent la nuit, la meilleure protection est l’utilisation d’une moustiquaire imprégnée d’insecticide pour dormir », rappelle le HCSP, tandis que « pour se protéger des piqûres de moustique en soirée ou en journée, l’usage de répulsifs cutanés est fortement recommandé.
Le retour de voyage plus important que jamais
Autre tendance forte depuis quelques années, le retour de voyage prend une place croissante dans les recos car plus que jamais, le risque sanitaire ne s’arrête plus au moment où le voyageur pose sa valise. Arboviroses, infections communautaires, etc., que ce soit pour les patients à titre individuel ou plus à visée de santé publique, l’objectif est de reconnaître les situations à risque et de savoir alerter. Avec, en filigrane, la nécessité de mettre au maximum un diagnostic sur des symptômes même banaux. « La règle selon laquelle il faut consulter en milieu spécialisé au retour de voyage si l’on est malade est encore plus vraie qu’avant, estime le Pr Caumes. Plus tellement à cause du problème des maladies tropicales – qui sont désormais bien identifiées – mais en raison des maladies émergentes et des maladies cosmopolites d’apparence banales qui peuvent relever de germes au profil de résistance particulier ».
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