Les laboratoires pharmaceutiques ne sont plus les seuls mal-aimés du système de santé français. Dans cette période où la raison le cède aux passions, les complémentaires santé les ont rejointes au titre des institutions à abattre, comme si l’on pouvait se soigner sans médicaments ou avec le seul financement de l’assurance-maladie. Engouffrons-nous néanmoins dans la brèche du débat pour réfléchir, non pas en termes d’anathèmes, mais de régulation (il est vrai que c’est plus difficile).
Ce qui est vrai, c’est que certains soins et biens médicaux coûtent chers aux Français, même en présence d’une bonne assurance. Pour des lunettes de vue progressives, il n’est pas rare que les patients aient à débourser plus de 200 euros après l’intervention de la Sécurité sociale et de leur complémentaire santé. En dentaire comme en audioprothèse, les restes à charge grimpent rapidement : plus de 400 euros en moyenne pour une prothèse céramo-métallique, plus de 1 000 euros pour un implant dentaire, près de 2 000 euros pour une prothèse auditive.
En conséquence, le renoncement à ces soins pour raison financière est prégnant et nombreux sont les Français qui arbitrent entre une réduction du reste à charge et une meilleure qualité des équipements. Si dans la plupart des secteurs économiques les achats passent ordinairement par un arbitrage qualité/prix, cette logique est gênante en santé pour des raisons d’équité. Le contrat social français post-1945 veut que tous les citoyens aient accès à des soins équivalents.
Pour inhiber toute dérive tarifaire et maîtriser la croissance des dépenses de santé, les prix des prestations médicales convenablement couvertes par l’assurance-maladie sont réglementairement ancrés sans que cela choque grand monde. Ainsi, un médecin généraliste de secteur I n’a d’autre choix que de proposer ses consultations à 23 euros (25 euros à compter du 1er mai 2017). Les optiques, certains soins dentaires et les audioprothèses sont en revanche exonérés de tarifs opposables.
Des marchés à la réalité complexes
Certes, en théorie, sur un marché libre et concurrentiel, l’offre, la demande et les prix évoluent jusqu’à atteindre un équilibre satisfaisant pour le plus grand nombre. La réalité des marchés de la santé est plus complexe. Par exemple, les chirurgiens-dentistes compensent des tarifs réglementés faibles sur les soins conservateurs et chirurgicaux par des tarifs libres élevés sur les soins prothétiques et d’orthodontie. Dans le domaine de l’aide auditive, l’offre d’audioprothésistes est insuffisante du fait d’un numerus clausus trop restrictif, ce qui contribue à maintenir des prix élevés.
Pour ces raisons, lorsqu’elles supportent une part importante, voire majoritaire, du financement des soins (autrement dit lorsque l’assurance publique reste en retrait), les complémentaires privées sont légitimes pour endosser un rôle déterminant de régulation des dépenses, et tout particulièrement là où les restes à charge sont les plus élevés. D’une position de « payeurs aveugles » à faible valeur ajoutée, elles doivent progressivement endosser une position affirmée de « payeurs régulateurs » à plus forte valeur ajoutée.
Nous avons étudié le modèle des réseaux de soins dès 2012. À l’époque, nos analyses nous avaient conduits à soutenir l’adoption de la loi Le Roux pour que soit enfin instituée l’existence légale des réseaux. En votant cette loi, les Parlementaires ne s’y sont pas trompés : les réseaux contribuent bel et bien à modérer les prix en optique, en dentaire et en aide auditive, tout en assurant la qualité des soins. C’est ce que montrent en particulier les données de l’INSEE sur les prix à la consommation, données accessibles à tous ceux qui veulent faire un travail sérieux appuyé sur des arguments chiffrés.
Les modèles de l'assurance-maladie répliqués
En pratique, les plateformes qui administrent ces réseaux répliquent des modèles de régulation couramment employés par l’assurance-maladie et le ministère de la Santé. À défaut de tarifs officiels et réglementés, les plateformes régulent contractuellement les prix pratiqués au sein de leur réseau. Les décotes peuvent atteindre jusqu’à 50 % du prix moyen de marché.
Aucun compromis n’est fait à notre connaissance sur la qualité des soins. La qualité est assurée par une sélection des professionnels sur la base d’un cahier des charges précis (compétences, expérience, formation, équipement, protocole de soins, offre, transparence…) ; une surveillance a priori des plans de soins, par des algorithmes et par des experts-métiers, et a posteriori pour détecter les pratiques sous-efficientes et les pratiques frauduleuses ; et par une appréciation de la qualité par les assurés eux-mêmes. À l’image des plateformes d’intermédiation d’autres secteurs, comme Airbnb, Uber, ou LaFourchette, il est donné la possibilité aux usagers de noter les professionnels de santé.
En outre, et contrairement à ce que l’on entend parfois, les réseaux n’altèrent en rien la liberté de choix des assurés. S’ils se dirigent vers un adhérent du réseau, ils sont avantagés. S’ils s’orientent en dehors du réseau, ils ne sont en rien pénalisés car ils continuent de bénéficier de la prise en charge habituelle par leur complémentaire. Au fond, ces réseaux sont un outil de régulation des prix qui permet de diminuer le reste à charge. Qui, une fois les intérêts corporatistes des uns ou des autres mis de côté, pourraient s’en plaindre ?
* Économiste, directeur-fondateur d’Asterès
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