« Depuis le référendum, j’ai pu observer un changement progressif au sein de Londres, raconte une pédopsychiatre qui exerce à South Kensington, le quartier français de la capitale britannique, et qui préfère rester anonyme. C’était une ville pétillante, les gens partaient en week-end partout en Europe, on avait l’impression d’être au centre du monde ! Cette dynamique a beaucoup changé à cause du Covid, mais aussi à cause du Brexit. » Cette médecin arrivée en 2015 a observé une certaine morosité s’installer et ressent plus de racisme au sein de la ville. Alors que sa clientèle était francophone à 70 % avant le Brexit, le rapport s’est aujourd’hui inversé, même si elle estime que ce changement peut-être lié à d’autres facteurs personnels.
La Dr Zoé Bellamy, qui est arrivée au Royaume-Uni en 2017 et qui travaille au sein de Medical Chambers à Londres, observe aussi que beaucoup de patients sont repartis vivre en France, même si elle s’est installée après le référendum. « Des entreprises ont fermé leurs sièges à Londres entraînant le départ de beaucoup de Français, signale-t-elle. Nous nous sommes demandé si cela impacterait notre travail, mais honnêtement, je ne suis pas inquiète. Des anglophones ont aussi le réflexe de venir nous voir parce qu’avec la pandémie, ils n’ont plus aussi facilement accès à leur GP qu’avant. Si les délais d’attente sont trop longs, ils viennent nous voir. Ils viennent aussi parce que les GP ont peu de temps à accorder à leur patient et que les rendez-vous téléphoniques se sont multipliés. J’ai rattrapé des erreurs de diagnostic, par exemple une galle traitée comme de l’urticaire… Mais ces cas de figure sont plus propres au Covid qu’au Brexit, même si les deux sont phénomènes sont intriqués. »
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Les patients français ne sont pas les seuls à avoir quitté le pays : certains médecins venus de l'Hexagone ont aussi choisi de ne pas rester au Royaume-Uni, modifiant les habitudes de travail de ceux qui y sont restés. « Je travaillais aussi avec beaucoup de collègues français, des orthophonistes par exemple, des professionnels de qualité qui sont partis aujourd’hui », ajoute la pédopsychiatre.
Or désormais, il sera beaucoup plus difficile pour les médecins européens de s’installer outre-Manche. La première difficulté concerne l’autorisation légale de venir vivre et travailler sur place. Avec la fin de la libre-circulation des personnes, un travailleur européen pourra s’installer au Royaume-Uni uniquement s’il est sponsorisé par une entreprise, les médecins ne faisant pas partie de la liste de professionnels exemptés de cette condition.
Seules les personnes ayant la double nationalité ou ayant obtenu le settled status, ce visa post-Brexit obtenu par les Européens qui se sont installés au Royaume-Uni avant le Brexit, sont autorisées à exercer leur profession outre-Manche sans autres conditions d’émigration. À ce visa de travail à obtenir s’ajoute une nouvelle opération à effectuer : alors que les diplômes de médecines européens étaient jusque-là reconnus, ce n’est désormais plus le cas. La Dr Marguerite Anderson a été confronté à ce problème. Arrivée à Londres en août 2020 pour des raisons familiales, elle a pu obtenir son pre-settled status car elle s’est installée avant la date limite pour obtenir le document (juin 2021).
Certification des diplômes
En revanche, quand elle a commencé à chercher du travail en novembre 2020, elle s’est rendu compte que son installation en tant que médecin serait bien plus difficile que prévu. « Pour m’inscrire à l’ordre des médecins d’Angleterre, le General Medical Council (GMC), il a fallu que je fasse certifier mes diplômes par une entreprise américaine. Pour ce faire, j’ai d’abord dû les faire traduire, puis une fois envoyée aux États-Unis, j’ai dû attendre 5 mois avant d’obtenir mes documents. J’ai dû aussi passer un test d’anglais. » L’ensemble de la démarche a coûté près de 1 600 euros et a duré dans les 8 mois.
En revanche, une fois que Marguerite Anderson a obtenu tous les documents dont elle a eu besoin pour travailler, elle a pu trouver un poste rapidement au sein d’un cabinet privé de Londres. « En venant à contre-courant, j’ai bénéficié des départs de médecin français qui sont rentrés en France », estime-t-elle. Si elle n’a pas travaillé dans le pays avant le Brexit, l’un des effets qu’elle peut observer reste la pénurie épisodique de médicaments. « Je suis en gynécologie et il y a une certaine pilule qu’on trouve moins pour cette raison », commente-t-elle. Le Dr Bellamy a aussi observé ce phénomène. « Il y a régulièrement des ruptures de stocks de patchs oestroprogestatif, illustre-t-elle. On finit par trouver les médicaments mais il faut faire plusieurs pharmacies. »
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