Les avis sont très partagés sur l’intérêt et l’efficacité de l’effervescence parlementaire autour des sujets santé. « Les députés ne doivent pas tenter de doubler à tout bout de champ la ministre de la Santé, plaide Jean-Pierre Door (LR). Je plains la pauvre Agnès Buzyn qui doit faire face à cette charge parlementaire incessante. Les députés ne sont pas des lanceurs d’alerte, chacun son job ! Abordons les sujets santé, oui, mais prenons-les dans l’ordre, en suivant le calendrier des travaux (PLFSS, stratégie nationale de santé, loi bioéthique). Arrêtons de tirer dans les coins ! »
Pour avoir été secrétaire d’État aux relations avec le parlement, le Dr Jean-Marie Le Guen partage ce sentiment face à ce qu’il considère comme « un emballement qui fait courir le gouvernement dans tous les sens et, au final, ne contribue pas à faire avancer les dossiers. Depuis une dizaine d’années, on assiste à la montée des préoccupations fortes de l’opinion sur les questions de santé, c’est légitime que les députés s’en fassent l’écho, mais on arrive à une situation d’embolie telle qu’elle suscite de nouveaux blocages. La réforme du règlement, n’a pas permis d’endiguer le flux*, il conviendrait aujourd’hui d’aller plus loin en organisant, sous le contrôle des groupes, une synthèse des questions autour d’une dizaine de thèmes. »
« Surtout pas ! rétorque Philippe Vigier. Le parlement est déjà suffisamment mis à l’écart et ses prérogatives limitées pour qu’on rogne encore sur l’expression des députés. Nous sommes des relais indispensables de la démocratie et nous faisons déjà un tri important avec les quelque 250 mails que, les uns et les autres, nous traitons quotidiennement. » Olivier Véran partage cette position pour « ne pas brider la parole des députés », de même que Jean-Carles Grelier : « si les députés, quelle que soit leur famille politique, se bougent autant sur les questions de santé, c’est qu’ils sont pressés par l’opinion face à un gouvernement qui ne répond pas aux urgences. »
"Précieuse chambre d’écho".
Actuellement à la manœuvre au cabinet d’Agnès Buzyn, Anne Beinier, la conseillère parlementaire qui valide chacune des réponses de sa ministre, ne cache pas que « la tâche est rude, avec des pics qui nous font quitter l’avenue de Ségur à 3 heures du matin, lors du PLFSS. Rude, mais enrichissante et nécessaire : la parole des élus de la nation permet à la ministre d’être informée des préoccupations de l’opinion en temps réel. C’est une précieuse chambre d’écho qu’il ne faut surtout pas limiter, même si, avec la réduction d’effectif au cabinet et l’hyperréactivité des demandes, nous sommes au taquet. » Alors que le taux moyen de réponse ministériel dans le délai imparti de deux mois est de 42 % , « il atteint à la santé le record de 50 %, indice d’une fluidité très forte, se félicite la conseillère. Et encore s’y ajoutent les questions posées directement par mail, généralement traitées entre 24 et 72 heures. C’est toute une organisation pour ne pas risquer la thrombose, avec des tableaux de synthèse que nous éditions chaque trimestre pour une meilleure lisibilité des thèmes abordés. » La ministre de la santé ne se plaint donc pas, tout au contraire, de la pression que les députés mettent sur son action.
Quant à la question de l’efficacité de toute cette frénésie parlementaire, l’ancienne ministre et actuelle députée Delphine Batho est partagée, elle qui vient de démissionner de la vice-présidence de la mission sur les pesticides, faute d’avoir pu s’y faire entendre : « Avec des ministres debout sur les freins, les sables mouvants des technostructures, les querelles d’experts, les manœuvres des lobbies, les campagnes des associations, nous avons bien du mal à animer la démocratie sanitaire ! Alors, non, vraiment, nous n’avons pas besoin qu’on nous inflige un corsetage réglementaire pour nous brider, sous prétexte que nous en ferions trop !»
*Depuis novembre 2014, les députés disposent d’un quota limité à 52 questions écrites par an.
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