Après l'accident de Rennes...

Que peut faire la loi ?

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Publié le 07/03/2016

« L'accident de Rennes a suscité beaucoup d'émotion mais la législation française encadrant les essais thérapeutiques est un modèle en Europe et dans le monde, avance sans préambule le Pr Jean-Louis Bernard, ancien président du Comité de protection des personnes de Sud‑Méditerranée II. Son seul défaut est que certaines dispositions majeures ne sont pas appliquées ».

De fait, des textes législatifs existent pour renforcer la protection des volontaires, certains depuis plusieurs années, mais tardent à entrer en vigueur, alors que pourraient être envisagés de nouveaux aménagements. Autant de points clarifiés lors des auditions sur les essais cliniques organisées par la Commission des affaires sociales du Sénat.

Les CPP en ligne de mire

« Les Comités de protection des personnes ont aujourd'hui d'énormes difficultés à travailler et à statuer. Ils sont sursollicités du fait d'une multiplication des projets ». Le Dr Patrick Peton, président du Comité de protection des personnes de Nancy Est III enfonce le premier clou. Premiers garants de la sécurité des volontaires, ces entités de bénévoles ont pour mission l'évaluation de tous les éléments assurant la protection des participants, la pertinence de la recherche et la validité de la méthodologie des études candidates. Leur avis favorable étant un préalable obligatoire pour que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) puisse délivrer une autorisation. Au nombre de 39 actuellement, à se partager le traitement de plus de 1 500 dossiers par an, les CPP sont effectivement débordés. Un projet d’ordonnance mis en concertation en juillet dernier confiera l'évaluation de la méthodologie à l'ANSM. Elle attend de se concrétiser. L'autre point d'achoppement tient à la vocation d'indépendance de ces structures composées pour moitié de représentants de la société civile (associations de patients, juristes, travailleurs sociaux…) et de professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers, psychologues). Pour prévenir tout risque de connivence entre les promoteurs d'une étude et ses évaluateurs, la loi du 5 mars 2012, dite « loi Jardé », a ajouté une condition : la désignation aléatoire des CPP chargés d’évaluer les projets. Cette disposition reste pour l'instant lettre morte, faute de son décret. 

L'application attendue de la loi « Jardé »

La loi Jardé est une extension de la loi Huriet de 1988, la première autorisant des essais sur des volontaires sains mais qui posait un cadre juridique pour les seuls dits « interventionnels à risque ». La loi de 2012 étend ce cadre à tous les types d’essais : soit aussi aux essais « interventionnels à risque minime » ainsi qu’aux essais « observationnels » dans lesquels les participants ne reçoivent que leur traitement habituel. « Outre qu'elle établit le principe du tirage au sort des CPP pour leur participation à un essai clinique, elle renforce la protection de la confidentialité des données personnelles des volontaires et le principe de transparence des éléments de recherche, exigeant qu’ils soient rendus publics », précise, son auteur le Pr Olivier Jardé, chirurgien orthopédiste au CHU d’Amiens. La France se trouvant alors l’un des pays les plus avancés dans la protection des volontaires, tous ces points ont été précisés dans la réglementation européenne de mai 2014 qui doit entrer en application en 2018. En introduisant la loi Jardé dès maintenant dans le droit national, la France prend une longueur d’avance. « Un projet d’ordonnance doit être transmis au Conseil d'État ces jours-ci pour une entrée en vigueur fin 2016 », a annoncé le Pr Jardé.

Les arcanes du secret industriel

« Les essais de phase 1 sont connus pour être des essais à très haut risque, relève le Pr Bernard, car il est impossible d'inférer de façon certaine l'effet d'un produit testé sur l'animal sur le corps humain. Or la faisabilité de ces essais est évaluée à partir d’études précliniques sur lesquelles les promoteurs fournissent des informations trop limitées. C'est une zone grise qui nuit à la sécurité des volontaires. » Il interroge, du reste, sur la pertinence d’instaurer une obligation de publication de toutes les recherches sur l’homme, y compris celles qui n’ont pas abouti, en occultant si nécessaire certains contenus inhérents à des mesures de confidentialité ou de secret industriel.

De fait, actuellement, si les protocoles des essais cliniques peuvent être rendus publics, les résultats d'études précliniques et de phase I font partie intégrante du secret industriel. Celui-ci est couvert par l'article L311-6 du Code des relations entre le public et l'administration. Au regard de la législation, l'ANSM et les CPP, ont accès à la « brochure pour l'investigateur » qui porte sur le process industriel et au « dossier du médicament expérimental » qui recèle les résultats des études précliniques. Mais ils ne sont pas autorisés à rendre publics ces documents sans l'accord du promoteur.

Jeux de transparence 

Pour l'heure, la base de données EudraCT, qui contient tous les essais cliniques de médicament menés sur le territoire de l'Union européenne (phase 1 à phase 4), est accessible uniquement aux États membres, à l'EMA et à la Commission européenne. « Le règlement européen pousse à la transparence totale - open acess », déclare le Pr François Lemaire, qui était chargé de la recherche dans le cabinet de Roselyne Bachelot lors de l’élaboration de la loi Jardé. Selon lui, les informations relatives aux essais précliniques et de phase 1 pourraient avoir obligation d'être accessibles dans le cadre de l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation européenne en 2018. Mais beaucoup sont dubitatifs sur une telle évolution. Alors que des groupes de pression, à l’instar de COCHRANE, spécialiste des méta-analyses, œuvrent pour une totale transparence, la question se pose de ne pas tuer la recherche clinique européenne.

« La France, comme aucun des pays membres ne publie aujourd'hui de résultats de phase I sur le répertoire européen, a confié de son côté Dominique Martin, directeur général de l'ANSM au « Quotidien ». S'il en était ainsi, plus aucune recherche pharmaceutique ne pourrait être menée dans notre pays. » Le Pr Lemaire estime, quant à lui, que le secret industriel a le dos un peu trop large :« Il doit être possible de faire la bonne part de ce qui peut être diffusé en toute transparence sans porter préjudice à l’industrie ».

Betty Mamane

Source : Le Quotidien du médecin: 9477