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A-t-on tiré les leçons des précédentes crises sanitaires ? L'analyse de cinq anciens « DGS »

Par Christian Delahaye - Publié le 10/04/2020
A-t-on tiré les leçons des précédentes crises sanitaires ? L'analyse de cinq anciens « DGS »


SEBASTIEN TOUBON

Ils ont été entre 2 et 12 ans la conscience médicale de l'avenue de Ségur et en quelque sorte son numéro deux officieux après le ministre de la Santé. Les urgences et les alertes sanitaires, ils connaissent. Nous avons demandé à cinq anciens Directeurs généraux de la santé (DGS) d'analyser la situation épidémique actuelle à la lumière des dossiers complexes qu'ils ont eu à gérer il y a quelques années de cela. Instructif.

Ils ont à tour de rôle formé des tandems avec les ministres de la Santé qui se sont succédé. Mais ils n’ont pas été les simples garçons de course entre les dirigeants politiques et les administrations qu’ils chapotaient. Confrontés à des désastres sanitaires comme lors de l’explosion du VIH, arbitrant les problématiques scientifiques qui se contredisaient, négociant entre les comportements politiques qui slalomaient, assumant des décisions qui paraissaient parfois absurdes, anticipant les réactions médiatiques et y réagissant sous les spots des caméras, ils sont les DGS, les directeurs généraux de la santé.

« Le Quotidien» publie aujourd’hui les paroles de ces médecins, grands managers de la santé publique qui n’ont pas pu, en leur temps, soumis au feu de l’action, s’exprimer librement. Sang contaminé, SRAS, MERS-Cov, Ebola, mais aussi Canicule, H5N1, H1NI, H7N9, ESB, dioxine, fièvre aphteuse, Zika, Distilbène, Tchernobyl, Isoméride, amiante, éthers de glycol, légionellose, sans oublier bien sûr le SIDA.... Quelles leçons tirent-ils de leurs expériences  respectives ? Estiment-ils que les retours d’expérience ont été pris en compte par notre système de santé, eux qui y furent tour à tour confrontés, dans le feu de l’action sanitaire ?

Les uns et les autres, les DGS pointent les obstacles qu’ils ont eus à affronter dans les chaos des crises : dysfonctionnements logistiques, cacophonies des experts, surréactions médiatiques, pressions économiques et financières, dernier mot donné à l’administration des finances contre celle de la santé, pour réaliser des économies qui tenaient dans le train du budget de l’État, incapacité d’intégrer la culture de la santé dans les canons de la rigueur budgétaire.

Tous, ils dénoncent les dramatiques situations d’impréparation auxquelles, les uns après les autres, ils ont dû faire face. Faute de mémoire. « Ce n’est pas nouveau, déplore l’un des anciens DGS interrogés par « Le Quotidien », Didier Houssin : au Japon, on a retrouvé récemment des bornes qui avaient été posées il y a quelques centaines d’années au-dessus des rivages, pour marquer qu’on ne devait pas construire au-delà de leurs limites sous peine de s’exposer aux ravages des tsunamis. Et ces bornes ont été oubliées avec le temps, on a construit à leur mépris et les habitants ont payé ces oublis. Il en va ainsi de la mémoire oublieuse de la santé publique. » « C’est humain, constate cet autre ex-DGS, Jean-François Girard, lorsqu’on sort d’une catastrophe sanitaire, on est tellement heureux, qu’on oublie le tragique des événements par lequel on vient de passer. » « C’est ainsi que les crises font suite aux crises, constate le Pr William Dab. C’est ainsi que d’autres crises succéderont à celles que nous subissons aujourd’hui. »

Malgré tout, les uns et les autres conviennent aussi, avec le recul, qu'on a tout de même appris des crises passées. Tel Joël Ménard, qui estime qu'après le désastre» du VIH, « la virologie, l’épidémiologie, la génétique, ont progressé» et que la canicule de 2003  a suscité elle aussi une vraie prise de conscience dans toute la société. Son prédécesseur Jean-François Girard relève que la DGS, « sous l’effet des crises, a su s’adapter».  De son côté, Didier Houssin, à la manoeuvre pendant l'épisode H1N1, rappelle que télétravail et confinement ont été pensé alors, il y a une dizaine d'années. Quant  au Dr Jean-Yves Grall, il pense que ce n'est pas un hasard si des structures de coordination et d'alerte au plan régional comme au plan européenn datent de cette époque. Même William Dab qui se montre le plus critique -sur la gestion des stocks de masques notamment-  admet un vrai changement d'état d'esprit au ministère de la Santé, mentionnant des concepts qui étaient inconnus lors de son arrivée avenue de Ségur : les différents plans, plan canicule et plan grand froid, notamment.

Reste que, pour enrayer la funeste mécanique de l'oubli dont ils portent témoignage, plusieurs DGS proposent au « Quotidien » des mesures d'analyse, d'observations ou de retour d'expérience. À adopter dans l’urgence.

Christian Delahaye