Lors de la conférence de Melbourne en juillet dernier, l’OMS a présenté une mise à jour des recommandations de 2012 sur l’infection à VIH. Certains médias se sont fait uniquement l’écho du versant prévention de ces recommandations et ont insisté sur l’intérêt de la Pre-Exposure Prophylaxis (PrEP) recommandée chez les homosexuels masculins. Or, ces recommandations consolidées étaient relativement complètes, non seulement en termes de prévention mais aussi de diagnostic et de prise en charge des personnes infectés par le VIH (1). Le volet prévention est très largement envisagé dans les populations les plus touchées : les homosexuels masculins, les personnes incarcérées, les usagers de drogues, les travailleurs du sexe, les transgenres. Très exactement, l’OMS a déclaré : « la PrEP est recommandée comme un choix additionnel de prévention chez les homosexuels masculins au sein d’une offre complète de prévention ».
LE QUOTIDIEN : Ces recommandations vous surprennent-elles ?
PR JEAN-MICHEL MOLINA : Je souhaiterais d’abord insister sur le fait qu’elles permettent d’envisager la PrEP comme un nouvel outil de prévention à prendre en compte. Des études de PrEP ont également été réalisées au sein de couples sérodifférents, d’hommes et des femmes à haut risque, d’usagers de drogues ; mais ces recommandations de l’OMS sur la PrEP concernent principalement les homosexuels masculins. Certes, l’OMS déclare que « chez les couples sérodifférents pour lesquels des moyens de prévention additionnels sont nécessaires, la prise orale quotidienne de PrEP (tenofovir ou tenofovir-emtricitabine) peut être considérée comme possible pour le sujet non infecté ». Il n’y a en revanche pas de recommandation pour les usagers de drogues ni pour les travailleurs du sexe malgré les études réalisées également dans ces populations.
Il faut noter que les nouvelles recommandations du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (Ecdc) de juillet 2014 sont plus mesurées sur la stratégie de PrEP. Elles ne nient pas que « la PrEP pourrait être un outil efficace de prévention pour les personnes à haut risque d’infection », mais soulignent que certaines questions restent aujourd’hui sans réponse et nécessitent la poursuite de recherches afin d’obtenir des données complémentaires.
Sur quelles études se basent les recommandations de l’OMS chez les gays ?
Essentiellement sur l’essai IPrEx, la seule étude menée jusqu’ici pour évaluer l’efficacité de la PrEP chez les homosexuels masculins. Mais l’efficacité démontrée dans cette étude était modérée, puisque la PrEP ne réduisait le risque de séroconversion pour le VIH que de 44 % (2).
Pour expliquer ces résultats, on peut invoquer essentiellement la faible observance du traitement. En effet, les investigateurs ont mis en évidence la présence de médicament dans le sang chez seulement 9 % des sujets devenus séropositifs et 50 % des sujets séronégatifs aux différents contrôles.
Les preuves d’efficacité apportées par IPrEx vous semblent donc insuffisantes ?
Ces résultats obtenus à partir d’une seule étude chez des gays, qui plus est avec une efficacité modérée, me paraissent en effet devoir être confirmés et si possible améliorés avant d’envisager une recommandation générale. De plus, les résultats de l’étude IPrEx-OLE (OLE pour Open label extension), essai de démonstration et non plus d’efficacité qui a fait suite à l’essai IPrEX – présentés par le Dr Grant à Melbourne, ne sont pas totalement convaincants. Cet essai a inclus une partie des sujets ayant participé à IPrEx et qui ont eu accès à la PrEP en continu en ouvert. L’objectif était d’évaluer à plus long terme l’efficacité et l’observance de cette stratégie de PrEP continue par Truvada. 24 % des participants d’IPrEx-OLE n’ont pas souhaité poursuivre la PrEP mais ont quand même été suivis dans cette étude en bénéficiant du même accompagnement.
Les raisons invoquées pour ne pas poursuivre la PrEP continue étaient la crainte des effets secondaires (50 %), ne pas vouloir prendre un comprimé tous les jours (16 %), ne pas aimer prendre des comprimés (13 %), la préférence pour d’autres méthodes de prévention (14 %), la crainte d’une stigmatisation (10 %).
Parmi les participants qui ont poursuivi l’étude sans PrEP (mais ont bénéficié du suivi) l’incidence de l’infection VIH a été de 2,6 % par an, alors qu’elle était de 1,8 % par an chez ceux qui ont pris la PrEP, une réduction d’environ 50 % mais qui n’était pas significative.
Parmi les participants ayant opté pour la PrEP continue, l’observance du traitement mesurée par la proportion de personnes ayant des concentrations détectables de médicaments dans le sang n’était que de 50 % environ. Plus le temps passe, plus l’observance diminue. C’est le problème principal de ces stratégies de prévention quotidiennes qui posent la question de l’efficacité à long terme.
Quelles sont les particularités de l’essai ANRS Ipergay qui peuvent amener à rendre la PrEP plus efficace ?
Rappelons d’abord que depuis 2008, nous nous sommes intéressés en France et à l’ANRS, à la PrEP comme un outil de prévention en partenariat avec les associations gays. Il est en effet nécessaire de renforcer la prévention chez les gays à risque de contamination par le VIH et c’est notre objectif principal que de diminuer les nouvelles contaminations dans cette population. Nous espérons que la mise en place de l’essai ANRS Ipergay depuis le début 2012 va contribuer à réduire ces nouvelles contaminations.
Dans cet essai, la prise de la PrEP n’est pas quotidienne mais à la demande, au moment des rapports sexuels (2 comprimés de Truvada avant un rapport sexuel, puis 1 comprimé 24 heures après puis un autre 24 heures après encore) ce qui semble plus compatible avec la vie des individus. Nous avons montré à Melbourne que l’observance de cette stratégie était très bonne ; en effet la recherche de Truvada dans le sang des 113 premiers participants à l’essai était positive dans plus de 80 % des cas. Ceci nous semble témoigner d’une observance globale de la PrEP à la demande de plus de 80 % : bien supérieur à celui de la PrEP continue dans l’essai IPrEx (50 %). Mais restons prudents. Dans ce type d’essai, les premiers résultats sont souvent encourageants. De plus, la prise à la demande de Truvada devrait réduire les éventuels effets secondaires et le coût de la stratégie préventive.
Certaines associations, s’appuyant sur les résultats d’IPrEx et les recommandations de l’OMS, vous reprochent le double-aveugle dans l’essai ANRS Ipergay. Qu’avez-vous à leur répondre ?
L’essai ANRS Ipergay est un essai de prévention globale. Les participants reçoivent une PrEP par Truvada ou placebo mais ils bénéficient également d’un accompagnement personnalisé, d’un dépistage systématique et du traitement des infections sexuellement transmissibles (qui favorisent la contamination par le VIH), de vaccinations contre les hépatites, de préservatifs et de gels, et d’un accès facilité au traitement postexposition. De plus dans un essai contre placebo, les participants ne sont pas sûrs de recevoir un traitement actif et doivent donc se protéger au maximum. Notre souhait est de réduire fortement le risque de contamination par le VIH chez les gays très exposés qui ont des rapports sexuels anaux sans usage systématique du préservatif. On ne souhaite pas que la PrEP remplace ce qui existe déjà mais on veut démontrer son bénéfice additionnel. Les personnes qui entrent dans l’étude sont mieux protégées dans l’essai qu’en dehors de l’essai, qu’elles reçoivent ou pas la PrEP. Dans l’essai IPrEx, les investigateurs ont bien remarqué que le risque de contamination était quatre fois moins important chez les individus sous placebo pendant l’essai qu’avant l’essai, ce qui prouve l’effet des autres mesures et conseils préventifs.
Le préservatif est-il utile en cas de traitement préventif par Truvada ?
Je pense qu’il est utopique de croire que Truvada seul apportera une protection à 100 % permettant de ne plus utiliser le préservatif. Il faut également considérer que le niveau de risque est dépendant du type des rapports sexuels. Certains individus ont des rapports avec des partenaires multiples et ne savent pas si tous leurs partenaires vont utiliser le préservatif. Si un gay est actif et qu’il utilise le préservatif, il n’y a pas de raisons pour qu’il prenne une PrEP. S’il est passif et en cas de rapports oraux sans préservatifs (pour lesquels il existe un sérieux doute de contamination), la question du bénéfice de la PrEP se pose. Mais attention, la protection conférée par la PrEP ne sera pas absolue, et on a bien vu dans certaines études que des individus chez qui le médicament était décelable dans le sang ont été contaminés.
L’objectif de l’essai ANRS Ipergay est de valider des outils de prévention afin que les individus se les approprient au mieux en fonction du type de leurs rapports sexuels pour obtenir une protection optimale contre le VIH. C’est pourquoi la PrEP doit être présentée non pas comme une alternative au préservatif mais plutôt comme un renfort de la prévention.
D’autres essais sont-ils en cours avec la PrEP ?
L’essai ANRS Ipergay est le seul essai d’efficacité qui se déroule actuellement chez les gays. L’essai PROUD, mené en Angleterre, est un essai de « démonstration », réalisé également chez les gays et vient de terminer son recrutement. C’est un essai de PrEP prise en continu (un comprimé par jour, tous les jours) sans bras placebo : un des bras a la PrEP pendant un an et l’autre uniquement la deuxième année. Cet essai vise à étudier le comportement des gays vis-à-vis de la prévention. Nous avons appris récemment que le comité de surveillance de cet essai avait recommandé de proposer la PrEP dès maintenant à tous les participants compte tenu d’une efficacité importante de la PrEP dans cette étude, mais les résultats définitifs ne seront connus que l’an prochain. Les États-Unis mènent également des essais de démonstration. Un autre essai de démonstration avec Truvada en continu va également être initié en Belgique.
Parallèlement, les industriels développent d’autres molécules, par exemple un produit injectable à longue durée d’action ou encore des anneaux et des gels vaginaux de Truvada, ceci afin de pallier aux problèmes d’observance d’une PrEP orale quotidienne.
(1) Consolidated guidelines on HIV prevention, diagnosis, treatment and care for key populations. Who. July 2014
(2) Grant, R.M. et al. Preexposure Chemoprophylaxis for HIV Prevention in Men who Have sex with men, New England Journal of Medicine N Engl J Med. 2010 Dec 30;363(27):2587-99
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