EN TRENTE ans la situation s’est considérablement modifiée. Grâce aux trithérapies, on parle aujourd’hui de l’infection par le VIH comme d’une maladie chronique. Dans les cohortes comme celle de Dominique Castigliola en France, 87 % des personnes traitées à long terme et suivies à l’hôpital ont une charge virale indétectable. Les antirétroviraux sont efficaces même s’ils ont des limites notamment du fait des effets secondaires importants. « Dans tout le débat sur les médicaments et leurs effets secondaires, nous devons assumer cette notion », souligne le clinicien. « Certains effets apparaissent à court terme et sont connus. Mais d’autres encore non connus peuvent apparaître sur le long terme, et nous devons être clairs et francs avec les patients », poursuit-il. Par ailleurs, dans environ 40 % des cas, malgré un traitement efficace par ARV efficace et une charge virale indétectable pendant de nombreuses années, le déficit immunitaire persiste et les CD4 restent inférieurs à 500.
Des comorbidités plus fréquentes.
Les comorbidités sont également aujourd’hui plus fréquentes, favorisées par le vieillissement mais aussi par le VIH lui-même ou par les traitements. Les troubles neurocognitifs dus signaux émis par le VIH dans les circuits neuronaux sont parfois observés. Chez les patients VIH traités, les pathologies du type Alzheimer sont plus fréquentes. Globalement, l’infection est associée à un vieillissement prématuré et à une série de complications cardiovasculaires. Ces dernières sont dues essentiellement à 3 facteurs : le vieillissement prématuré de l’endothélium vasculaire, la toxicité propre des ARV sur l’endothélium et le tabagisme. La proportion de fumeurs chez les sujets VIH + est plus importante (53 à 54 %) que dans la population générale.
Les anomalies métaboliques sont moins fréquentes qu’avec les premières générations de traitements. Les lipodystrophies et d’atrophies localisées du tissu adipeux ont quasiment disparu. Mais il existe d’autres formes de complications, parfois insidieuses, comme des atteintes rénales ou vasculaires, pour certaines molécules. La fréquence des cancers s’est accrue : cancers du poumon, de la prostate, cancers dus au papillomavirus et lymphomes.
Co-infection VIH-VHB.
En revanche les problèmes de la comorbidité entre le VIH et les virus des hépatites C ou B s’améliore. « Dans la file active française, on observe 23 % de coïnfection par le VHC et 8 % par le VHB », précise le Pr Delfraissy. Donc un tiers des patients sont co-infectés. Il va y avoir d’énormes progrès dans le domaine de l’hépatite C, avec la mise à disposition prochaine de nouveaux médicaments. « D’ici 3 à 4 ans le problème des co-infections VIH-VHC sera en grande partie réglé par des combinaisons de molécules », ajoute le spécialiste. Cela pose évidemment des questions sur les combinaisons pharmacologiques mais le traitement du VHC sera de courte durée, entre 3 et 6 mois et permettra d’éradiquer 60 à 75 % de la charge virale.
« C’est une avancée importante dans la mesure où la cirrhose est la deuxième cause de décès chez la population VIH + », ajoute le Pr Delfraissy. La première cause reste le sida caractérisé et la troisième est le cancer.
Les voies de la recherche.
Les molécules à longue durée de vie - en phase 1 et 2 de développement - vont permettre d’avoir un traitement pris toutes les semaines ou tous les mois. Cela va simplifier le traitement, même s’il a déjà été considérablement facilité par la prise de entre 1 et 3 comprimés par jour pour la majorité des patients. « Cela fait une grosse différence en terme d’adhérence au traitement, bien meilleure pour une prise unique quotidienne comparée à 2 ou 3 prises », souligne le Pr Delfraissy.
Aujourd’hui la majorité des médicaments prescrits aux patients infectés par le VIH ne sont pas des antirétroviraux, mais des traitements pour des pathologies associées : des statines, des anti hypertenseurs...
Les compagnies pharmaceutiques continuent à investir dans la recherche, mais elle est moins foisonnante que dans le cas des hépatites. Il y a 40 molécules à l’étude contre les hépatites et 4 ou 5 contre le VIH.
Quelques médicaments sont « dans les tuyaux », dans la nouvelle famille de molécules du début de l’interaction virus-cellule. Ainsi, il y a deux molécules s’attaquant à l’attachement actuellement à l’étude.
- On sait déjà le rôle essentiel d’une intervention thérapeutique très précoce. Une étude française (publiée en mars 2013) décrit le cas de 14 patients traités très précocement et qui, plus de 7 ans après l’arrêt des antirétroviraux, contrôlent leur infection (cohorte ANRS EP47 VISCONTI). Une rémission fonctionnelle a aussi été décrite chez un bébé aux États-Unis (Mississippi).
Ces cas permettent d’évoquer l’existence de rémissions fonctionnelles. « Certains individus infectés contrôlent naturellement le virus, sans médicament », relève le Pr Delfraissy. Ces patients ont un système immunitaire sans doute particulier, adapté à ce contrôle. La description de ces cas et celle des patients VISCONTI (encore appelés PTC ou post-treatment controlers) interroge les scientifiques : est-il possible de stimuler le système immunitaire des patients et les faire avancer vers l’état de « contrôleur » du virus ? L’immunothérapie et l’immunostimulation sont à l’étude, faisant évoquer la notion de « vaccin thérapeutique » mais les outils ne sont pas encore optimaux. Ces études utilisent des molécules inhibitrices des cytokines utilisées dans d’autres domaines (rhumatologie, inflammation) que l’on commence à mettre en place.
Vers l’éradication du VIH ?
La prochaine étape dans le progrès des traitements réside dans l’espoir d’une efficacité pharmacologique plus importante sur les réservoirs du VIH (tissu lymphoïde, sperme, système nerveux…), attendue avec les molécules à longue durée de vie, et avec celles inhibant l’attachement. L’enjeu majeur est l’éradication du virus, même si certains scientifiques jugent la perspective irréaliste. Le VIH persiste sous forme d’ADN proviral intégré... « On sait en tous cas que ce type d’approche nécessitera de tester de nouvelles cibles et des molécules proches des anticancéreux (par exemple des inhibiteurs de la tyrosine kinase) », explique le Pr Delfraissy. Des molécules qui ont une action sur l’état d’activation cellulaire, pour exciser l’ADN proviral. On commence à tester d’autres molécules plus complexes, en quantifiant les réservoirs, avec la mesure de l’ADN proviral.
*Isolation of a T-lymphotropic retrovirus from a patient at risk for acquired immune deficiency syndrome (AIDS). Barré-Sinoussi F, Chermann JC, Rey F, Nugeyre MT, Chamaret S, Gruest J, Dauguet C, Axler-Blin C, Vézinet-Brun F, Rouzioux C, Rozenbaum W, Montagnier L. Science. 1983 May 20;220(4599):868-71.
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