CARINE NKOLO, 28 ANS, patiente depuis trois heures dans la salle d’attente bondée de l’hôpital du district de la Cité verte. Entouré de grandes créoles, ponctué d’un trait de crayon violet dans les sourcils, son visage respire la sérénité, tandis que les plis de sa robe cendrée soulignent délicatement l’arrondi de son ventre de 5 mois. C’est la quatrième fois qu’elle est enceinte.
Il y a deux ans, Carine a bénéficié comme plus de 1 500 personnes chaque année du dépistage gratuit au VIH-SIDA proposé systématiquement lors de la première consultation prénatale. Résultat positif. « Je ne l’ai pas accepté tout de suite. J’ai refait un test », se souvient-elle. Sur le conseil des infirmières du planning familial, elle prévient son mari, qui se révèle séronégatif. Mais elle garde le silence face à sa famille.
Carine suit un traitement lors de sa troisième grossesse, comme 34 autres femmes en 2012, puis l’arrête après son accouchement, selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lorsque le nombre de CD4 est supérieur à 500. Aujourd’hui, elle est de nouveau sous antirétroviraux (ARV). Elle n’a pas à les payer. Grâce au programme de prévention de la transmission mère-enfant (PTME) instauré par la fondation Clinton (CHAI*) sur les fonds d’Unitaid, les ARV sont délivrés gratuitement tous les mois aux patients infectés. À sa naissance, son bébé fera partie de la centaine d’enfants de l’hôpital de la Cité Verte qui chaque année reçoivent une prophylaxie, gratuitement aussi. Carine est confiante : « Il sera en bonne santé comme son petit frère qui a passé les tests PCR des 6 semaines et des 12 mois ».
Rayonnante, elle fait partie d’un groupe de femmes séropositives qui en aident d’autres à accepter leur maladie et à se faire soigner, malgré la pression sociale. Un maillon essentiel pour retrouver les perdus de vue. « Le VIH-SIDA n’est pas quelque chose de mal, on peut se marier avec, faire des enfants. Encore beaucoup de personnes ont peur », explique Carine.
Un modèle fragile.
Le sourire de Carine Nkolo ne saurait faire oublier les fragilités du modèle camerounais de prise en charge du SIDA. Mariée à un gendarme, habitant à Yaoundé, la jeune femme doit faire de nombreuses concessions pour financer le test des CD4 (13 000 francs CFA, soit 20 euros) dont ne dispose pas l’hôpital de la Cité Verte. D’autres femmes présentes dans la salle d’attente, venues des provinces lointaines, racontent des histoires autrement difficiles, marquées par la quasi-impossibilité de financer le trajet de la campagne à l’hôpital en perdant en outre un jour de travail, alors que les maris sont absents, morts ou partis.
Selon une étude réalisée par l’hôpital central de Yaounde, 55 % des patients vivent avec moins de 30 000 FCFA (46 euros) par mois (sous le seuil de pauvreté) et 88 % n’ont aucun moyen de locomotion.
Grâce à l’aide internationale, l’accessibilité des traitements a été étoffée ces six dernières années. Le partenariat entre Unitaid et CHAI a permis à 5 300 enfants de recevoir des traitements en 2013. Ils n’étaient que 643 en 2005. Les programmes de distribution d’ARV de 2e ligne coordonnés par l’UNICEF ont bénéficié à 5 000 patients en 2013, contre 300 en 2005.
Les trithérapies, dont les prix mensuels s’échelonnaient entre 186 400 FCFA (285 euros) et 375 436 FCFA (573 euros) en 2000, sont devenues gratuites grâce à l’impulsion de l’OMS et du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose, et le paludisme.
Mais l’épidémie est loin d’être endiguée. Les programmes de PTME ne couvrent que 5 % des besoins et seulement 3 % des enfants infectés bénéficient d’une prophylaxie.
Au centre international de recherche Chantal Biya (CIRCB), chargé notamment de superviser la centaine de centres de diagnostic précoce camerounais, on mesure avec lucidité l’étendue du chantier.
Dans le cadre du programme lancé en 2007, 15 000 enfants nés de mère VIH âgés de 6 semaines à 18 mois ont été testés par le CIRCB (et 35 000 cas ont été remontés au centre de documentation et de communication). Plus de 280 000 enfants étaient attendus. « Nous n’atteignons pas le nombre de petits à tester à cause du transport des tests vers les laboratoires de référence. En outre, seulement 30 % des sites disposent des tests nécessaires au diagnostic précoce. Certaines régions comme le grand Nord sont dépourvues de sites », déplore le Dr Céline Nkenfou, chef du laboratoire de biologie systémique du CIRCB, qui plaide pour la décentralisation.
Le problème est identique pour les femmes enceintes séropositives : en 2012, 81 000 étaient attendues, mais à peine 21 000 ont été effectivement testées VIH positives. « On estime le taux de transmission verticale à 7,1 %. Mais quand on sait qu’on est loin de toucher toutes les mères, on peut légitimement évaluer ce taux à 20 % », craint le Dr Nkenfou.
Rupture de stocks.
Une fois dépistés et pris en charge, les patients peinent encore à obtenir leurs traitements. À l’hôpital central de Yaoundé, le service ambulatoire du Dr Charles Kouanfack a ouvert depuis le début des années 2000 plus de 33 000 dossiers. La moitié des patients (15 824) a déjà été initiée aux ARV. « Mais seulement 7 442 personnes sont venues chercher leurs boîtes », indique le chef de service. « Seulement 5,6 % d’entre eux (420) bénéficient de traitements de 2e ligne », poursuit-il. Plus de la moitié des bilans de suivi semestriel subventionnés (51 %) et de CD4 de contrôle (57 %) demandés ne sont pas faits. Un taux qui grimpe à 91 % pour les tests de charge virale qui coûtent 15 350 FCFA (20 euros).
Derrière ces chiffres, se profilent des heures d’attente et de lassitude pour les patients qui viennent à l’hôpital parfois dès l’aube pour être reçus en consultation (le service tourne en moyenne à 150 à 200 consultations par jour) et récupérer leurs médicaments. « Nous aurions besoin d’être au moins 6 médecins, mais nous ne sommes que 3. Parfois, on appelle les médecins d’autres services », reconnaît le Dr Kouanfack.
Certains protocoles manquent périodiquement à la pharmacie de l’hôpital. « Alors on les change mais il faut l’expliquer aux patients. Nous aurions besoin de davantage d’ARV de seconde et de troisième ligne pour tenir notre statut de référent », explique le Dr Kouanfack.
Mais à la Centrale nationale d’approvisionnement en médicaments et consommables médicaux essentiels (CENAME), on admet ne pas avoir plus de 3 mois de visibilité sur les stocks d’ARV, une gestion délicate, hors de toute informatisation.
Sonnette d’alarme.
Mi 2014, la situation pourrait devenir catastrophique, entre tarissement des financements et augmentation de la file active. Selon le ministère de la santé, en 2013, les besoins financiers pour l’achat des ARV s’élèvent à 20 359 976 765 FCFA (31 millions d’euros) soit 78 % de son budget.
Malgré l’annonce du président Paul Biya d’une enveloppe de 10 millions de dollars pour couvrir les besoins jusqu’en octobre 2014, le Cameroun reste tributaire de ses bailleurs internationaux. Avec à peine 8 % du budget consacré à la santé, il n’honore toujours pas l’accord d’Abuja de 2001 qui fixe la barre à 15 %. Le Fonds mondial, prenant le relais d’Unitaid, s’est engagé pour 2013-2014 (après trois ans d’absence) à accorder au pays 25 millions de dollars de subvention et 20 millions supplémentaires consacrés uniquement aux ARV.
L’invention d’un modèle de financement national, avec planification, est plus que jamais nécessaire. Le ministre de la Santé André Mama Fouda a indiqué à l’occasion de la visite de Philippe Douste Blazy, président d’Unitaid en Novembre, la mise en place d’un groupe de travail interministériel pour avoir davantage de visibilité sur 2014. « Créer un fond d’achat, pourquoi pas. Mais sur quelles ressources le financer », s’interroge-il encore.
Le pari d’Unitaid sur les financements innovants
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