La dernière fois que Mauricio* a mis fin aux souffrances d’un patient, c’était début avril, à Bogota. « C’était une personne de plus de 90 ans qui souffrait de démence vasculaire », explique le médecin, qui pratiquait sa neuvième euthanasie. Conformément à la réglementation en vigueur, le patient avait rempli le document de volonté anticipée où il spécifiait vouloir mourir selon cette procédure. « Il vivait dans une situation de dépendance totale et avait perdu ses capacités d’interactions sociales. Il n’était plus capable de se laver ni de manger sans assistance », poursuit Mauricio.
Parmi les sept États au monde à autoriser l’euthanasie, la Colombie est le seul pays latino-américain. Cette spécificité ne date pas d’hier : la pratique est devenue légale dès 1997, à la suite d'une décision de la Cour constitutionnelle. Le premier cas n’interviendra pourtant que 18 ans plus tard. En 2015, une série de règles du ministère de la Santé établit enfin la procédure à suivre en cas de demande du patient. Cette année-là, quatre euthanasies sont pratiquées. Huit ans plus tard, ce chiffre a été multiplié par 24, selon le laboratoire de recherche DescLAB.
Explosion du nombre de cas
Le nombre de cas a presque triplé entre 2020 et 2021, passant de 34 à 95. Un bond spectaculaire qui s’explique par une autre décision de la Cour constitutionnelle. En juillet 2021, la haute juridiction indique que le patient n’est plus obligé de souffrir d’une maladie en phase terminale pour demander l’euthanasie. Elle étend ce droit aux personnes atteintes d’une « maladie grave ou incurable générant d’intenses souffrances ». « De nombreux patients souffrant de maladies chroniques, neurodégénératives ou irréversibles pensaient à l’euthanasie mais ne remplissaient pas la condition de maladie terminale, relate Monica Giraldo, directrice de la Fondation pour le droit à mourir dignement. La décision de la Cour a ouvert la porte à ces nouvelles demandes. »
La Cour ne s’est pas arrêtée là. En 2022, elle a autorisé le suicide assisté par médicament pour les personnes souffrant de maladies graves ou incurables. Enfin, il y a un mois, elle statuait en faveur de la demande d'Ernesto, un patient handicapé par une sclérose en plaques. Diagnostiqué dément, son organisme de santé avait rejeté sa demande, contre l’avis de ses médecins et psychiatres, pour qui Ernesto était en pleine possession de ses facultés mentales. « La Colombie est l’un des pays les plus progressistes au monde en matière d’euthanasie », résume Boris Pinto, professeur de bioéthique à l’Université de Rosario.
Autorisée, réglementée… mais pas de loi
Le cas d’Ernesto souligne le rôle fondamental des organismes de santé et cliniques dans la procédure d’euthanasie et les obstacles qui, parfois, apparaissent. Ces structures sont chargées de recevoir les demandes des patients puis de convoquer le comité d’experts qui les évalue. Or, « elles sont remplies de médecins qui ne connaissent pas la procédure ou utilisent leur position d’autorité pour y faire barrage », explique Lucas Correa, directeur du laboratoire DescLAB. Certains refusent de faire suivre la demande du patient. « D’autres font preuve de mauvaise foi en disant que le patient ne remplit pas les conditions nécessaires », poursuit le chercheur.
« C’est un sujet sensible, reprend Mauricio. Beaucoup de collègues craignent d’être sanctionnés et préfèrent ne pas s’impliquer. » Malgré les décisions de la Cour constitutionnelle et la réglementation du ministère de la Santé, aucune loi ne vient formellement encadrer la pratique. « Le mot euthanasie n’apparaît même pas dans les décisions de la Cour, précise Boris Pinto. Elle préfère le concept de "mort digne" mais ce sont deux choses différentes. » Une loi en tant que telle permettrait pourtant « de rassurer et de plus mobiliser les professionnels de santé qui aujourd’hui évitent le sujet », estime Mauricio.
En octobre dernier, un projet de loi a été présenté au Congrès pour tenter d’encadrer définitivement la pratique. Il y est question d'élargir encore un peu plus le champ d’application en réglementant, comme le demande la Cour, l’euthanasie infantile à partir de six ans. Dans ce pays catholique, où les médecins sont nombreux à faire valoir leur objection de conscience, la loi ne pourra pas tout changer. « C’est une question de valeurs qui dépassent l’aspect médical. La loi n’a pas de prise sur les considérations morales et pourra difficilement obliger les institutions privées, religieuses et les médecins affiliés à mener ce type d’opérations », estime Boris Pinto.
*Le nom a été modifié sur demande de l’interlocuteur
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