LE QUOTIDIEN : Centre Sahel, Madagascar, Yémen, Afghanistan, Liban… L’actualité internationale semble chaque jour nous alerter sur la montée de la faim dans le monde. Les données chiffrées confirment-elles le phénomène ?
KATRIEN GHOOS : Les rapports publiés ces dernières années montrent que la prévalence de l’insécurité alimentaire augmente régulièrement. Il existe une classification internationale de l’accès à l’alimentation (IPC) divisée en cinq catégories. Les deux premières décrivent respectivement une tension minimale et un stress, ce sont les trois suivantes qui nous intéressent : la troisième qui correspond à la crise alimentaire, la quatrième à la crise humanitaire et la cinquième à la famine.
Les famines restent exceptionnelles : la dernière documentée date de 2011, dans la corne de l’Afrique. C’est d’ailleurs la seule que j’ai connue en 25 ans de carrière. Actuellement, on a beaucoup d’inquiétudes concernant certaines zones au Nigeria et au Burkina Faso, mais ces deux pays ne sont pas encore en état de famine.
Environ 160 millions de personnes sont en état de crise alimentaire rien qu’en Afrique en 2021, contre 140 avant l’épidémie de Covid-19. Nous prenons en charge 138 millions de personnes dans nos programmes, contre 115 l’année précédente.
Quelque 55 pays dans le monde ont présenté des crises alimentaires identifiées en 2020. Sur les dix avec le plus grand nombre de personnes menacées, six sont en Afrique. Le continent africain est très vulnérable.
Comment l’état de stress alimentaire d’une population est-il évalué ?
Sont prises en compte la disponibilité des aliments et l’accès à l’eau potable, leur qualité, mais aussi des facteurs comme l’existence de violences. Cette analyse est à la fois quantitative et qualitative, et nécessite l’appui de partenaires techniques gouvernementaux. Ainsi, dans quatre pays du Sahel, 25 % des ménages n’ont pas les moyens d’acheter assez à manger et un ménage sur deux n’a pas les moyens d’avoir une alimentation équilibrée et de qualité. Ce manque de qualité de l’alimentation contribue à la malnutrition.
Quels sont les facteurs qui expliquent cette montée de l’insécurité alimentaire ? Sont-ils conjoncturels ou est-ce une tendance de fond ?
Les régions dont je m’occupe sont fortement impactées par les conséquences de l’épidémie de Covid, mais l’intensification des conflits et des effets du changement climatique étaient présents bien avant. Il y a donc une association de facteurs, temporaires ou non, qui entrent parfois en synergie.
Les crises alimentaires sont souvent causées par la perturbation des chaînes de valeurs, c’est-à-dire le dysfonctionnement des systèmes alimentaires. Par exemple, au Burkina Faso, il y a des zones qui produisent l’essentiel de la nourriture et d’autres déficitaires. Il est donc important de transporter les aliments d’une zone à l’autre. Par conséquent, des problèmes d’accès à la nourriture naissent parfois du mauvais état des réseaux de transport, du manque de camions ou de la cherté des carburants.
De plus, les politiques agricoles des pays privilégient souvent la production de céréales au détriment de celle d’aliments variés. Il est pourtant important d’avoir accès à un large choix de vivres afin de pouvoir manger équilibré et adapté aux besoins nutritionnels,
qui sont différents selon l’âge et l’activité physique.
Quelles sont les conséquences sanitaires d’une crise alimentaire à l’échelle
d’une population ?
Les femmes et les enfants sont les plus vulnérables. Les crises alimentaires se traduisent par une hausse de la morbidité liée aux pneumonies, aux diarrhées ou au paludisme, qui est déjà élevée dans ces régions en temps normal. Il faut aussi prendre en compte que, dans une situation de crise, les services sanitaires ne sont pas toujours opérationnels. La malnutrition n’est jamais le seul facteur en cause dans la morbidité de ces maladies, c’est souvent celui qui arrive en bout de chaîne.
Par exemple, lors d’un événement comme une inondation, les familles reçoivent une aide alimentaire d’urgence et la malnutrition survient de façon un peu retardée, quelques mois après.
En ce qui concerne les conséquences à plus long terme, il y a de plus en plus de sur-
poids et d’obésité chez les adultes mal nourris au cours de leurs premières années de vie ou n’ayant accès qu’à une nourriture de mauvaise qualité.
On constate également qu’une mère mal nourrie transmettra plus facilement la malnutrition à son enfant. La malnutrition est aussi clairement un phénomène intergénérationnel. Il est important de briser ce cercle : il faut donc mieux traiter et prévenir toutes les formes de malnutrition.
Quel a été l’effet plus spécifique du Covid dans la région Afrique ?
Elle s’est ajoutée à d’autres crises qui existaient dans la région : violences, crise éco-
nomique, réfugiés… Il y a aussi des facteurs sous-jacents comme la pression démo-
graphique. Cette région contient de nombreuses zones désertiques ou semi-désertiques très vulnérables au changement climatique.
Avec la pandémie, les approvisionnements alimentaires ont été limités, voire totalement bloqués dans certaines zones. Quand la circulation des personnes s’est arrêtée, une grande partie du travail dans le secteur informel a été brutalement stoppée. Tout cela s’est traduit par une hausse instantanée des ménages vulnérables en besoin d’aide alimentaire et nutritionnelle.
Est-il possible d’imaginer une action internationale qui agisse sur les différents facteurs à l’origine des crises alimentaires ?
Le Programme alimentaire mondial est une agence spécialisée dans l’action humanitaire d’urgence, mais nous avons aussi un mandat pour mener un travail de développement de plus long terme. Les bailleurs de fonds sont d’ailleurs de plus en plus en faveur d’un couplage d’actions sur les crises et leur cause.
Une attention grandissante est portée aux programmes de protection sociale mais aussi à la facilitation des transferts monétaires. Nous travaillons par ailleurs sur le renforcement des chaînes de valeurs : remettre sur pied la production agricole, maintenir le fonctionnement des marchés, garantir les transports de marchandises tout en veillant à leur qualité sanitaire et nutritionnelle.
Nous avons récemment participé au sommet sur les systèmes alimentaires. Nous avons renforcé nos analyses pour mieux comprendre pourquoi les systèmes alimentaires fonctionnent et pourquoi ils sont parfois bloqués. L’activité est intermittente selon les saisons, d’où des problèmes de stockage et de transport. Il est possible de compenser ces limitations. Par exemple, les poissons d’eau douce ne sont pas disponibles lors des périodes de l’année où les rivières sont à sec, mais en les séchant, il est possible d’en consommer tout au long de l’année.
À la fin du mois d’octobre, avec nos partenaires, nous avons présenté ces résultats lors d’une consultation régionale : qu’est-il produit, où et avec quelles politiques agricoles ? Où les aliments sont-ils consommés ? Quelle est leur valeur nutritionnelle ? L’offre sur les marchés est-elle assez variée ? Ces données permettront de formuler des recommandations très claires à l’intention des décideurs politiques, les premières du genre !
Les financements internationaux sont-ils suffisants ?
Dans des pays comme le Burkina Faso, la lutte contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle est clairement sous-financée. Le Programme alimentaire mondial travaille avec les gouvernements de 85 pays. On constate une certaine baisse de l’intérêt à répondre aux situations d’urgence, et cela nous inquiète. Les pays donateurs doivent eux-mêmes faire face aux problèmes liés à l’épidémie de Covid et à la crise économique. Nous ne savons pas encore si les bailleurs de fonds vont continuer à assurer leurs financements à hauteur des besoins.
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