« LES PERSONNES me parlent de leur très grande détresse, de leur solitude, de la maladie, des amis qui sont partis. Elles se sentent inutiles et souhaitent mourir ou se laisser aller ». Mireille Dantel-Fort, la soixantaine pétillante, fait partie depuis quatre ans des 150 bénévoles d’Au bout du fil qui téléphonent une à deux fois par semaine à des personnes âgées. Ce coup de fil d’une vingtaine de minutes en moyenne est souvent le seul lien vers l’extérieur d’individus isolés, que les caisses de retraites ou les collectivités locales ont orienté vers l’association. « Je leur dis : il y a au moins quelqu’un qui pense à vous. On leur téléphone le jour de leur anniversaire. Beaucoup n’ont même pas les moyens de payer une personne pour les accompagner marcher », raconte Mireille Dantel-Fort à Michèle Delaunay.
Dans ces appels, la question de la mort revient lorsque la vie n’a plus de sens. « Elles - car ce sont à 80 % des femmes - se fichent de prendre leur traitement, une ou deux me disent même qu’elles vont avaler toutes leurs pilules d’un coup », poursuit la bénévole. « Les hommes et les plus âgées me semblent les plus vulnérables. Une centenaire que j’appelle me dit souvent : "j’en ai assez de vivre" ».
Chaque année, près de 3 000 personnes de plus de 65 ans mettent fin à leurs jours, ce qui représente 30 % de la totalité des suicides en France. Les hommes de plus de 85 ans ont un taux de mortalité 4 fois plus élevé que le reste de la population. « Ces chiffres sont sûrement sous-évalués, surtout pour les décès à domicile : on ne cherche pas systématiquement les causes, on ne pense pas toujours aux médicaments ! », a expliqué la ministre déléguée. Les suicides de cette tranche d’âge ne sont pas des appels à l’aide. Et les tentatives sont rares a rappelé Françoise Facy, présidente de l’Union nationale de prévention du suicide (UNPS).
Information et formation
Afin de briser les tabous, Michèle Delaunay entend d’abord « améliorer la remontée d’information » sur les causes de décès. Elle souhaite ensuite développer la formation des professionnels des établissements et surtout de l’aide à domicile pour qu’ils repèrent les signes de laisser-aller. La mallette d’aide à la prévention de la dépression « Mobiqual » devrait être largement distribuée. Le Pr Bruno Vellas, chef du gérontopole de Toulouse, pourrait réaliser un film à destination des associations. « Ces initiatives peuvent prendre forme dans de courts délais. Je suis prête à les financer », a déclaré Mme Delaunay.
Autre piste, les actions de voisinage devraient être développées et les acteurs de terrain réunis autour d’une table. Enfin le Comité national de vigilance et de lutte contre la maltraitance des personnes âgées (créé en 2007, en sommeil depuis 2009) devra être réactivé - « avec un autre nom » a insisté la ministre. Elle entend aussi réaffirmer dans la loi le respect du droit d’aller et venir et du recueil du consentement lors de l’entrée en établissement. Ces mesures feront-elles l’objet d’un projet de loi séparé de la réforme de la dépendance, prévue pour la mi-2014, ou y seront-elles intégrées ? « Ce n’est pas arbitré », a répondu la ministre.
Ancienne cardiologue au CHU de Bordeaux, Michèle Delaunay n’élude pas le rôle que les médecins pourraient jouer. « Les personnes âgées que j’appelle n’en sont généralement pas très satisfaites car elles ne les trouvent pas assez à l’écoute. Elles redoutent d’être hospitalisées : elles se sentent un fardeau à l’hôpital », rapporte Mme Dantel-Fort.
« Ils n’ont pas assez de temps à consacrer à la prévention des fragilités : il faudrait au moins une heure ! La surmédicalisation est alors un piège pour les médecins désemparés », reconnaît la ministre. « Mais ici, on tire le fil de la rémunération des médecins, qui ne devrait plus être à l’acte pour ces missions » souligne-t-elle. En attendant les arbitrages de sa ministre de tutelle, Marisol Touraine, Michèle Delaunay souhaite « mettre en valeur » les médecins coordinateurs des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Parce qu’ils sont en lien avec les médecins traitants des âgés, ils sont un levier essentiel de la prévention du suicide.
*Au bout du fil existe depuis 5 ans. L’association, composée de bénévoles, passe 4 000 coups de fil par mois à des personnes âgées inscrites sur un registre. www.auboutdufil.org/
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