Morceaux choisis

Publié le 04/04/2011
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Le minimum

Une médecine française qui valide est une médecine qui soigne bien. Une médecine française qui découvre est une France qui gagne. Quoi ? Du prestige, de l’argent, de la confiance en soi. Je sais que nous avons besoin des trois, mais je voudrais que nous ayons aussi le minimum auquel on puisse prétendre : la qualité des soins.

(Le discours de Dax, page 29)

À quoi sert-on ?

À quoi on sert, nous les docteurs ? Ne nous fait-on faire médecine que pour signer les arrêts de travail ? Pour savoir rendre la monnaie sur cinquante euros ? Pour faire travailler les biologistes, les radiologues, les pharmaciens, les industriels, les assurances, les mutuelles et pour les enrichir ? Si, médecin, on ne sait pas adapter l’annonce à chaque personne, si on l’omet, c’est qu’on ne l’est pas, médecin, que l’on est mal formé, mal élevé, que l’on n’est pas fait pour cela. Plus souvent, c’est simplement parce qu’on n’a pas le temps, parce qu’on ne prend pas le temps, en bref, parce qu’on n’a pas encore tordu le cou à la médecine à l’acte, et aux consultations en séries qu’elle génère partout où la tarification est associée à l’activité.

(L’annoncer ou ne rien dire ?, page 109)

Derrière le Grand Patron

Ma mémoire autobiographique me fait revoir les neurologues du royaume de la Salpêtrière des années 1950 à 1960, quand ils étaient debout, respectueux, derrière le Grand Patron, physiquement, tous derrière et lui devant… assis. Avec mon copain Marc Boasson, nous étions les deux externes chargés pendant six mois de soigner tous ces malades dits pudiquement de « long séjour », sous les combles de la Salpêtrière. Ils étaient aussi historiques que rares et aussi précieux pour la science que délaissés par la médecine. Les appelait-on même encore des « malades » ? On nous les avait confiés avec force recommandations. Notre mission première était de prévenir quand « la pièce » (leur cerveau) avait des « chances » d’être disponible pour l’autopsie. On attendait leur mort sans même chercher à savoir ce qu’ils attendaient de leur fin de vie. « Vous verrez, nous avait-on dit, ils sont très intéressants, vous apprendrez beaucoup ! Et, surtout… prévenez à temps ! ».

(Prise de tête, page 243)

L’isolement des chercheurs

Si l’on continue à tester les molécules éventuellement douées de propriétés thérapeutiques sur un seul modèle expérimental ou une seule lignée cellulaire, on court de grands risques de répéter les erreurs du passé. L’isolement des chercheurs du public comme du privé, la difficulté à travailler ensemble, tiennent à deux faiblesses propres à chaque milieu, mais dont les bases sont les mêmes : publier vite et seuls, dans le public, pour justifier de nouvelles subventions de recherche ; publier tard et seuls, dans le privé, pour prolonger les avantages compétitifs de la date du brevet qui marque le compte-à-rebours des profits.

(Les modèles animaux de maladie d’Alzheimer expérimentale, page 266)

L’éducation

Il faudra veiller à ce que les coûts de la prévention médicamenteuse et des soins de la deuxième partie de la vie, suscités par ceux qui s’expriment dans les journaux et aux élections, ne se développent pas aux dépens de l’amélioration de la qualité de l’éducation donnée aux enfants qui ne votent pas et n’écrivent pas dans les journaux pour exiger ce à quoi ils ont droit. Aujourd’hui, on résiste d’autant mieux à ce qu’on appelle « les déficits cognitifs de la maladie d’Alzheimer » que la qualité des apprentissages antérieurs, dès le début de la vie, a été favorisée et que l’entretien de ces apprentissages a été permanent.

(L’éducation, un quatrième axe ?, page 331)

Consensus mou

Je m’amuse et m’attriste à la fois quand je vois des administrations promouvoir ce qu’elles ont appelé les « recommandations pour la pratique médicale ». Elles sont laborieusement écrites par une vingtaine de professionnels, périodiquement enfermés dans une pièce de travail pour combler les insuffisances de connaissances de chacun d’entre eux. On aboutit à l’écriture d’un illisible consensus mou, qui ne correspond plus aux connaissances du moment quand il est diffusé deux ans après la pénible rédaction. Les textes étant illisibles, ils ne sont pas lus. C’est malheureux, car il faut absolument connaître les recommandations… pour savoir pourquoi et comment ne pas les mettre en œuvre quand on les sent inutiles ! Ces recommandations renforcent la qualité et l’homogénéité de l’enseignement théorique des connaissances médicales du moment, mais elles ne peuvent influencer la pratique de la médecine, tout simplement parce que la personne malade idéale, celle qui n’aurait que la pathologie traitée dans la recommandation, n’existe pas.

(Des recommandations, page 336)

Une médecine différente

Guidé par le fil invisible de ce que ma mémoire a retenu, je voudrais que l’on comprenne tout ce que peut apporter une médecine différente. Vécue comme j’ai vécu la mienne, elle serait exercée au sein d’un groupe de soignants, pour minimiser les souffrances du temps qui passe trop vite, du lien qui ne se fait pas, et du doute technique. Plusieurs interlocuteurs bien unis dans leur vision de la même personne malade et dans la mise en commun de connaissances et de savoir-faire différents, médecins, infirmières, psychologues, assistantes sociales, ergothérapeutes, orthophonistes, psychomotriciens, et de nouvelles fonctions de liaison pour les formes les plus graves. Organisés, ces professionnels sont capables de gommer les déficiences techniques ou affectives d’un médecin isolé quand il est toujours pressé et toujours seul.

(L’éducation thérapeutique : un échange de bons procédés en fin de consultation, page 353)

Le généraliste

Techniquement, que souhaiter de la part du médecin généraliste ? D’abord que disparaissent les diagnostics trop tardifs. Ils sont facilités par l’amicale bonhomie qui consiste à ne plus entendre les plaintes de déclin cognitif ou exécutif d’un « vieux » client, et surtout celles de son conjoint. On élude les plaintes en rappelant qu’avec l’âge, n’est-ce pas, on ne peut pas être et avoir été… Pour répondre réellement aux plaintes de mémoire si fréquentes, et souvent si banales, des outils de repérage bien systématisés, utilisables en moins de quinze minutes, pourraient être proposés aux médecins de famille.

(Le médecin généraliste, page 368)

Tous concernés

Il faut que l’on perçoive mieux l’ampleur des obstacles autres que scientifiques qu’il reste à lever avant d’être en mesure d’innover dans la précision du diagnostic ou dans la recherche et le développement d’une thérapeutique qui puisse prévenir, ou au minimum ralentir la maladie. On ne peut pas attendre que les autres fassent à leur manière : nous sommes tous des malades d’Alzheimer en puissance, et si l’on n’a rien fait, on sera un jour dans l’état de ceux et celles qui nous émeuvent aujourd’hui.

(Le financement des soins ou la cacophonie des logiques, page 411)


Source : Le Quotidien du Médecin: 8937