Les dernières données remontaient à près de 20 ans. Une nouvelle étude épidémiologique sur la santé mentale des sortants de prison confirme la surreprésentation des troubles psychiatriques ou liés à une substance, ainsi que du risque suicidaire, chez les détenu.e.s.
À la demande de la Direction générale de la santé (DGS), dans le cadre de la feuille de route 2019-22, et en vue de la prochaine stratégie 2023-2027, cette étude, cofinancée par Santé publique France, a été conduite par la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale (Hauts-de-France) et coordonnée par le Pr Pierre Thomas. Elle comprend trois volets : la population masculine sortant de maison d'arrêt (près de 600 participants), celle des femmes sortant des établissements pénitentiaires des Hauts-de-France (131 participantes) et le dispositif de santé mentale d'outre-mer.
Le moment de la libération est particulièrement délicat : la mortalité cinq ans après serait multipliée par 3,6 en France, les principales causes de décès étant l'overdose, les maladies cardiovasculaires, l’homicide et le suicide.
La moitié des sortants concernée par un trouble lié à une substance
Parmi les personnes ayant participé à l’étude, les deux tiers des hommes détenus en maison d'arrêt (67 %) et les trois quarts des femmes sortant de détention présentent, à la sortie, un trouble psychiatrique ou lié à une substance. Une addiction concerne la moitié des personnes interrogées. Un tiers des hommes et la moitié des femmes sont concernés par des troubles thymiques (incluant la dépression), les mêmes proportions, par des troubles anxieux, et un quart des hommes, et la moitié des femmes, sont sujets aux insomnies.
Pour les hommes, la stabilité de la prévalence des troubles de l'humeur (autour de 30 %), depuis l'étude de 2004 « souligne l'importance de la dépression en population carcérale, à tous les stades de détention », notent les auteurs. Ils observent en outre une prévalence élevée du trouble du stress-post-traumatique (11 %) avant la libération (versus 6 %, lors de l'étude de 2004, qui porte sur le moment de la détention), « ce qui interroge quant à l'exposition à des évènements potentiellement traumatiques au cours de la détention ». Par ailleurs, 10 % des hommes et un sixième des femmes sont concernés par un syndrome psychotique.
L’étude permet aussi de caractériser la sévérité de ces troubles : 32,3 % des hommes (et 58,8 % des femmes) sont considérés comme modérément à très malades, tandis que le risque suicidaire est estimé à 27,8 % pour les hommes (et 59,5 % pour les femmes), avec un risque élevé estimé respectivement de 8,2 et 19,1 %.
Autre constat marquant : plus de 98 % des participants et 99 % des participantes ont été exposés à au moins un traumatisme (négligence ou abus) dans l’enfance.
Moins d'un tiers a un suivi programmé à la sortie
La majorité des personnes interrogées a pu avoir au moins une consultation, avec un médecin généraliste et un professionnel de santé mentale (respectivement 89,6 % et 96,2 %). Plus d’un tiers ont été suivis par un établissement médico-social spécialisé en addictologie (Csapa*, Caarud**). Environ 7 % des détenu.e.s ont été hospitalisé.e.s en psychiatrie pendant leur incarcération.
Mais, dans les jours précédant la sortie, seulement 22 % des répondants et 33,6 % des répondantes déclarent avoir un rendez-vous programmé avec un professionnel de la santé mentale, et 14 % des répondants et 27,5 % des répondantes avec un addictologue. La part des personnes traitées par des médicaments de substitution aux opiacés est équivalente à l’entrée et au cours de la détention.
Dans un contexte de surpopulation carcérale, les facteurs de protection de la santé mentale que sont l'activité ou l'accès aux parloirs font cruellement défaut : 32 % des hommes et 47 % des femmes n’ont pas eu accès aux activités sportives ; 42 % des hommes et 47 % des femmes sont restés éloignés des parloirs ; 68 % des hommes et 49 % des femmes n'ont pas pu bénéficier d'activités socioculturelles ; et 76 % des hommes et 66 % des femmes n'ont pas eu de formation professionnelle.
« L’incarcération - qui éloigne de l'emploi et du logement - multiplie particulièrement les freins à la réinsertion des personnes présentant des troubles psychiatriques », alertent les auteurs, qui préconisent d'éviter les incarcérations, ou de les raccourcir, pour les patients psy.
Une feuille de route en préparation
Dans la foulée, la DGS précise que la future feuille de route interministérielle « Santé des personnes placées sous main de justice 2023-2027 » se concentrera sur la prévention du suicide, avec le développement de formations des professionnels de santé et pénitentiaires, et la mise en accessibilité pour les détenus du 3114, ainsi que sur la prise en charge des conduites addictives.
Pour une meilleure continuité des soins, à la sortie de prison, des équipes mobiles transitionnelles (EMoT) devraient être développées - elles sont expérimentées à Lille et Toulouse. Est enfin reconnue la nécessité de réfléchir aux alternatives à l'incarcération pour les personnes souffrant de troubles psychiques. Une expérimentation est en cours depuis 2022 en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (projet Ailsi, alternative à l’incarcération par le logement et le suivi intensif).
* Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie
** Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues
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