Révision des délais et de la clause de conscience, revalorisation de l'acte : les pistes de la délégation aux droits des femmes pour améliorer l'accès à l'IVG

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Publié le 16/09/2020
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Crédit photo : S.Toubon

« L'interruption volontaire de grossesse (IVG) apparaît bien souvent comme simplement "tolérée" en France mais pas toujours garantie », estime le Pr Yves Ville, chef de service de la maternité de l’hôpital Necker et membre de l’Académie nationale de médecine. Pour lutter contre un tel constat, qu'elles reprennent à leur compte, les députées Marie-Noëlle Battistel (PS, Isère) et Cécile Muschotti (LREM, Var) proposent 25 mesures, dans un rapport d'information adopté à l'unanimité ce 16 septembre par la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. 

« L’accès à l’avortement se trouve entravé au nom de convictions religieuses ou idéologiques, de politiques natalistes, ou en raison d’un manque de moyens dont les plus vulnérables font les frais », écrivent-elles en introduction, en écho à une situation dénoncée depuis plusieurs années.

Elles insistent notamment sur le défaut de valorisation de l'acte médical, qui se traduit par la réduction à la portion congrue du nombre de praticiens (des militants, souvent) réalisant des IVG. En 2018, 1 725 médecins et 248 sages-femmes ont réalisé des IVG en cabinet libéral (qui représentent 25 % du total des IVG pratiquées), soit 2,9 % des généralistes et gynécologues de ville et 3,5 % des sages-femmes, pour un nombre d'IVG qui reste stable (224 300 en 2018). Les députés s'indignent aussi que 3 000 à 5 000 femmes soient contraintes, chaque année, de partir à l'étranger pour avorter, faute de rentrer dans les délais en France. Et appellent à une politique volontariste pour changer les mentalités et les pratiques. 

Allonger les délais de recours à l'IVG

Les députées proposent d'allonger les délais de recours à l'IVG : de 5 à 7 semaines de grossesse (7 à 9 semaines d'aménorrhée [SA]) pour les IVG médicamenteuses en ville (comme cela a été autorisé lors de la crise sanitaire liée au Covid-19), et de 12 à 14 semaines de grossesse (14 à 16 SA) pour les interventions chirurgicales (proposition en revanche rejetée par le Sénat en mai dernier). 

Elles suggèrent de mettre en place un parcours d’IVG simplifié et accéléré pour les femmes qui ont dépassé la 9e semaine de grossesse, en regroupant en un seul rendez-vous préalable à l’intervention tous les examens (échographie, prise de sang) et consultations (praticien réalisant l’IVG, anesthésiste). Et d'imposer à l'ensemble des hôpitaux publics une prise en charge des IVG sans possibilité de refuser des patientes en fin de délai légal. 

Elles plaident en outre pour une meilleure prise en compte des éléments psycho-sociaux susceptibles de représenter « un péril grave pour la femme enceinte » souhaitant recourir à une interruption médicale de grossesse (IMG). Une mesure introduite dans la loi de bioéthique lors de son examen cet été dans l'hémicycle, mais qui pourrait faire l'objet de vives polémiques lors de la prochaine discussion au Sénat (fin 2020, début 2021). 

Suppression de la clause de conscience 

Considérant que la clause de conscience spécifique à l'IVG, objet récurrent de débats, revêt un caractère stigmatisant, Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti plaident pour sa suppression... tout en souhaitant  renforcer l'obligation de réorientation des femmes. Aussi proposent-elles une réécriture du code de la Santé publique, stipulant qu'un « un médecin ou une sage-femme qui refuse de pratiquer une interruption volontaire de grossesse doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention ».

Et de préciser : « le refus de pratiquer l’IVG, qui serait toujours explicitement mentionné par la loi ainsi rédigée, découle simplement de la clause réglementaire générale du droit de refuser de pratiquer un acte médical. Cette rédaction permettrait de faire progresser le droit à l’IVG et d’en finir avec une vision archaïque d’un acte médical spécifique ».

Revaloriser l'acte, développer les postes de PH et PU-PH  

Peu considérée, l'activité peut s'avérer déficitaire pour les établissements, constatent les auteures. Elles demandent donc que soit mise en place une couverture totale et indexée des frais encourus par les professionnels dans la pratique de l’IVG ; et que les forfaits de remboursement des régions d'outre-mer soient adaptés à la différence des coûts des médicaments par exemple (le Mifégyne coûte 120 euros à la Réunion contre 70 euros en métropole, sans être mieux remboursé). 

Pour assurer un nombre suffisant de professionnels capables de réaliser des IVG, les députées préconisent, outre la revalorisation de l'activité d'IVG, la création de postes de praticiens hospitaliers dédiés à cette pratique, avec l'ouverture de débouchés universitaires. 

Le rapport demande aussi que les sages-femmes puissent être autorisées (et formées) à réaliser des IVG chirurgicales sous anesthésie locale dans les établissements et les centres de santé habilités. « Une nécessité pour pallier la pénurie de soignants et assurer une offre dans tous les territoires », a insisté Cécile Muschotti devant la délégation aux droits des femmes. 

Simplifier encore plus l'accès pour les femmes, notamment les mineures

Soucieuses que l'IVG ne soit pas un parcours du combattant, les députées présentent une série de mesures destinées à faciliter son accès, comme l'exonération généralisée de l'avance de frais, le renforcement de la confidentialité et de l'anonymat, ou encore, la possibilité pour les infirmiers scolaires d'endosser le rôle de majeur accompagnant une mineure.

Elles insistent enfin sur la nécessité de toujours mieux informer les Français sur l'IVG, dès l'école primaire, avec les trois séances annuelles d'éducation à la sexualité et à l'égalité, mais aussi à travers des campagnes nationales de sensibilisation. Et de regretter que de nombreuses femmes ignorent encore qu'il existe plusieurs méthodes d'IVG. 

Une proposition de loi examinée le 8 octobre

Le rapport pourrait trouver sa traduction concrète rapidement. Une proposition de loi transpartisane qui reprend la suppression de la clause de conscience spécifique et l'allongement des délais de recours à une IVG chirurgicale de 12 à 14 semaines doit être débattue en séance publique le 8 octobre prochain. 

Pour la défendre, la députée LREM Albane Gaillot a lancé une plateforme numérique recensant les soutiens des associations comme du grand public. Le 14 septembre, 738 personnes avaient signé, précisait-elle, parmi lesquelles « 147 professionnel.le.s de santé, 58 élu.e.s et 533 citoyen.ne.s ».


Source : lequotidiendumedecin.fr