DANS UN PAYS dénué de tradition de santé publique, l’expression « sécurité sanitaire » a vu le jour dans le sillage des grandes crises, à chaud. En 1993, le scandale de la transfusion sanguine a conduit le ministre de la Santé de l’époque, Bernard Kouchner, à faire adopter les lois sur les produits de santé ; en 1998, en pleine affaire de la vache folle, la loi portant création des agences était adoptée ; vinrent ensuite les lois sur les droits des malades et la qualité du système de santé (2002), après l’épisode de la canicule (2003), et la loi HSPT (2009). Depuis l’émergence de l’épidémie de sida, en 1981, les crises se sont succédé en cascade, agissant comme autant d’électrochocs sur l’opinion et les pouvoirs publics : hormone de croissance, vache folle, listeria dans le fromage, Clinique du sport, légionelles dans les hôpitaux, risques des éthers de glycol, traces radioactives du nuage de Tchernobyl, menace de l’hépatite C, déleucocytation des produits sanguins, syndrome de la guerre du Golfe, puis des Balkans, OGM, dioxines, canicule, accidents de radiothérapie, pandémie aviaire, sras, pandémie grippale...
Capharnaum institutionnel.
L’accumulation des catastrophes, réelles ou ressenties comme telles, força les gouvernements successifs à forger par strates un système de sécurité sanitaire qui devait se révéler pléthorique : des agences (produits de santé, aliments, environnement, santé au travail, biomédecine), des instituts (veille sanitaire, radioprotection et sûreté nucléaire, prévention et éducation pour la santé, environnement industriel et risques), des établissements (français du sang, préparation et réponses aux urgences sanitaires), des laboratoires (fractionnement et biotechnologies) virent le jour, sous l’égide de plusieurs ministères appelés à marier leurs directions centrales avec des services éclatés au sein des Agences régionales de santé créées par une dernière loi (HSPT, en 2009).
« Un tel capharnaüm institutionnel pêche par ses trop nombreuses interfaces et son excessive complexité », note le Pr Jean-François Girard, ancien directeur général de la Santé. Pour réduire les chevauchements et surmonter l’incompatibilité des services d’information d’une sécurité sanitaire en pièces, une réunion hebdomadaire dite de sécurité sanitaire fut instaurée en 2002, puis, en 2008, cerise sur le gâteau agenciel, un Comité d’animation des agences. Dans la foulée, le grand chantier de la RGPP (Révision générale des politiques publiques) fixa l’objectif : « Regrouper les agences afin de simplifier les conditions de leur pilotage par l’État, de renforcer leur capacité d’expertise interne, de réduire les risques de redondance entre elles et de rendre plus lisible l’ensemble du dispositif ». En creux, ce programme sonnait le glas du système. Les objets administratifs non identifiés (comme les appelait un rapport sénatorial en 2008) résistèrent dans un premier temps et deux agences seulement (la petite AFSSET et la grande AFSSA) fusionnèrent en 2010, toutes les autres faisant le gros dos.
Deux cellules de crise.
C’est une nouvelle crise qui devait révéler le fiasco de la mauvaise gouvernance sanitaire, avec la pandémie de grippe A(H1N1) lors de l’hiver 2009-2010. Dans un rapport cinglant, la Cour des comptes a calculé que le dispositif avait permis de vacciner moins de 10 % de la population (5,36 millions de Français), pour un coût record de 110 euros par personne.
Selon un rapport sénatorial rendu public le mois dernier, la cellule interministérielle de crise mise en place par le gouvernement a été parasitée par une cellule de crise doublon, au ministère de la Santé, entraînant des délais trop longs dans la prise de décision, une gestion de crise lourde de conséquences pour les services territoriaux submergés par des textes et instructions parfois contradictoires, les maladresses s’ajoutant au manque de réactivité, tandis que la mise à l’écart des médecins libéraux aggravait l’échec de la campagne vaccinale. Bref, la balkanisation du système de sécurité sanitaire à la française avait apporté la preuve, dans la réalité d’une épidémie qui, par chance, se révéla bénigne, de ses limites.
Mais c’est un zoom de l’actualité sur une des nombreuses agences, l’AFSSAPS, qui a porté il y a trois mois le coup de pied à l’âne au système. Le 15 janvier dernier, le rapport rendu sur le Mediator par l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) révélait comment, liées à des pressions externes, l’inertie d’une structure complexe, appuyée sur de nombreux experts, a enrayé le bon fonctionnement de l’Agence et neutralisé à plusieurs reprises les alertes qui auraient dû être déclenchées. Comme l’a préconisé Xavier Bertrand, le ministre de la Santé, après un tel dysfonctionnement, la réforme de l’agence des produits de santé est devenue indispensable. L’organisation et les règles héritées des années 1990 devront être remises à plat.
Désormais, c’est l’ensemble des structures qui sont visées car l’éclatement et la superposition des compétences ne sont pas un gage d’efficacité, note l’ancien directeur de l’École nationale de santé publique, Jacques Hardy. La gouvernance sanitaire doit être revue pour garantir aux usagers que les mesures qui garantissent leur sécurité soient prises à bon escient et à temps : que l’alarme ne soit plus intempestivement tirée, comme lors de la pandémie grippale, et qu’elle soit bien activée face à un risque réel comme celui constitué par les effets du Mediator.
Article publié dans le numéro 40 ans du « Quotidien du Médecin ». Cet été, revivez 40 ans d’évolution de la médecine au quotidien, à travers 40 thèmes, de A à Z.
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