Avec la pandémie, le sujet du syndrome post-réanimation (SPR) est brûlant. Le 23 mars, la Direction générale de la santé (DGS) s’est prononcée sur les recommandations de prise en charge du SPR post-Covid. « Le syndrome post-réanimation est souvent intriqué aux symptômes prolongés suite à un Covid-19 », est-il indiqué. Et de lister les symptômes communs au SPR et au « Covid long » : asthénie, atteinte neuromusculaire, raideur et douleurs articulaires et musculosquelettiques, amyotrophie, altérations cognitives et psychiatriques, symptômes respiratoires persistants (dyspnée, syndrome d’hyperventilation).
La DGS engage à une prise en charge « holistique en soins primaires en première intention ». Elle appelle à recourir à des échelles cliniques validées, que ce soit pour l’évaluation de la dyspnée (mMRC : modified Medical Research Council), du syndrome d’hyperventilation (score de Nijmegen), des altérations cognitives (échelle MoCA : Montreal Cognitive Assessment), de l’anxiété (HADS : Hospital Anxiety and Depression Scale, STAI : State-Trait Anxiety Inventory), de la dépression (BDI : Beck Depression Inventory) et du stress post-traumatique (IES : Impact of Event Scale).
Le syndrome post-réanimation concernerait 50 à 70 % des patients survivant à une maladie grave et aux soins intensifs. La Dr Anne Peskine, qui exerce au Normandy, un établissement de médecine physique, rééducation et réadaptation en milieu marin, a expliqué au « Quotidien » les leviers de prévention du SPR. Décrit en 2012, ce syndrome réunit trois problématiques : les troubles moteurs (neuromyopathie, faiblesse des quatre membres, voire tétraplégie), cognitifs (problèmes attentionnels, mémoire) et psychiatriques (anxiété, dépression, syndrome post-traumatique).
Facteurs prédictifs
Lorsqu’en réanimation, le patient délire, c’est mauvais signe. « Les délires de réanimation sont un facteur très prédictif de troubles cognitifs ultérieurs », affirme la Dr Peskine, qui a publié sur le sujet après avoir beaucoup travaillé sur l’anoxie cérébrale. Les patients les plus âgés et/ou ayant des troubles préexistants et/ou consommateurs de benzodiazépines peuvent avoir des hallucinations, ressentir une forte confusion, une agitation extrême ou au contraire une apathie importante.
« Ces symptômes sont liés à l’agression cérébrale de tous les produits utilisés en réa, mais aussi à l’environnement du patient », précise la praticienne. Bruit, lumière, différence jour/nuit quasi nulle, les stimulus visuels et auditifs de l’hôpital, présents 24 heures/24, sont très perturbants pour le cerveau et peuvent déclencher des troubles de la mémoire, attentionnels et d’organisation.
Tout ce qui met en péril le pronostic est mauvais pour l’après-réa : une forte fièvre, une infection grave ou une réaction inflammatoire intense. Ces phénomènes biologiques font fondre les muscles, entraînant des séquelles motrices. « Plus la réa est lourde et prolongée, plus le SPR va être sévère, tous troubles confondus, pointe Anne Peskine. Si on ne peut pas lutter davantage contre cet aspect-là, on peut jouer sur d’autres volets, comme la sédentarité et l’environnement du patient ».
Mobilité, rythme circadien, silence nocturne
Pour les troubles moteurs, la mobilité est le mot d’ordre. Plus le patient bouge lors de son séjour en réanimation, moins il présentera de faiblesse musculaire. Les services concernés font de plus en plus intervenir la kiné active, qui comporte toutes sortes de mouvements pilotés par le patient lui-même.
Des dispositifs matériels aident aussi à la mobilité. Un service de réanimation à Orléans a travaillé sur la mise en place de pédaliers pour les patients. Mais de simples lits qui permettent de s’asseoir peuvent faire toute la différence, y compris pour les troubles cognitifs. « Un dispositif qui impose la position couchée permanente, où le patient ne voit que le plafond, n’est pas idéal pour l’éveil cognitif, note la praticienne. Rien que le fait d’être assis stimule les fonctions cognitives ».
Pour prévenir les troubles neurologiques, mimer le rythme jour/nuit dans la chambre en baissant la lumière la nuit apparaît efficace. L’équipe peut aussi donner des bouchons d’oreille pour le sommeil. Afin de protéger l’intégrité cognitive, les services de réanimation se montrent aujourd’hui bien plus attentifs à la « présence » du patient : peut-il interagir ? Se situe-t-il dans le temps ? L’usage des benzodiazépines est restreint.
Les vertus du journal de bord
L’autre volet, ce sont les troubles mentaux : anxiété, dépression et psychotraumatisme. Extrêmement fréquents, ils touchent le patient ainsi que la famille. Là aussi, le délire prédit ces troubles, mais aussi l’absence de souvenirs. « Les patients décrivent un trou noir, relate Anne Peskine. Pendant trois semaines, ils n’étaient pas là, d’après eux. C’est sans doute à cause des médicaments, mais aussi de la sensation du temps suspendu ». L’absence de marquage jour/nuit est aussi très délétère.
« Il manque à ces patients une partie de leur histoire, donc une partie d’eux », insiste la praticienne en rééducation. Il s’agit alors de réinstaurer une continuité. Plusieurs études montrent l’intérêt d’un journal de bord pour prévenir les troubles anxieux et post-traumatiques après une réanimation. Un tel dispositif engage toute l’équipe médicale ainsi que les proches. Tout ce qui se passe y est écrit, avec une date. La tante d’un patient note par exemple : « Je suis venu te voir, on a discuté de ça », l’aide-soignant écrit « aujourd’hui vous avez pris une douche », etc. Les patients ont connaissance à leur sortie de ce carnet qui leur permettra de retracer leur séjour.
L’après réa : le rôle clé des généralistes
En service de réadaptation, la prise en charge consiste à faire de la rééducation intensive et du renforcement musculaire pour les troubles moteurs mais aussi des programmes de nutrition. Pour les troubles attentionnels et la fatigue, il est préconisé de faire des pauses régulières lors des activités. « Pour l’anxiété, nous travaillons sur la peur de la mort, celle qu’ils ont ressentie lors de la réanimation, poursuit Anne Peskine. Le sentiment d’avoir ressuscité n’est pas toujours simple à vivre, surtout quand on est diminué par rapport à avant ».
Les généralistes traitent souvent les troubles anxieux. « Leur relais compte énormément, indique-t-elle. Ils vont expliquer les tenants et aboutissants d’une réanimation, mettre des mots, dédramatiser. Pour les patients, rien que de savoir que leurs troubles sont liés à l’agression cérébrale de la réanimation, que ce n’est pas un début d’Alzheimer par exemple, est un facteur apaisant ». Les médecins de famille peuvent aussi leur dire que c’est normal de ne pas se souvenir, l’objectif est de ne pas être dans le refoulé.
« Nous, médecins de rééducation, préconisons à tous les services de réanimation de ne pas relâcher les patients dans la nature, souligne la Dr Peskine. Certains d’entre eux organisent une visite des patients six mois après leur passage. Cette excellente démarche leur permet de mettre des images concrètes sur des souvenirs pétris de confusion, qui se traduisent parfois en cauchemars récurrents. Là encore, il s’agit de réinstaurer un fil sur une rupture vécue ». Ces consultations post-réa ne sont pas forcément médicales, des infirmiers étant à même de les assurer.
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