« FORCE est de constater que l’organisation actuelle de la médecine légale est disparate et fragile, car mise en œuvre par strates successives, en fonction le plus souvent d’initiatives locales. » C’est à ce problème, rappelé dans la circulaire du 27 décembre 2010, que la réforme de la médecine légale souhaite répondre, en mettant un terme à près de dix ans de réflexion. En 2003, en effet, le rapport d’Olivier Jardé, puis en 2006 la mission interministérielle menée par l’inspection générale des Affaires sociales et l’inspection générale des Services judiciaires (IGAS-IGSJ) dénoncent les carences organisationnelles de l’exercice légal. En janvier 2010, une instruction ministérielle dévoile un nouveau schéma directeur, annoncé pour le 1er septembre. Ce sera finalement ce 15 janvier 2011 que s’amorcera la structuration d’une « médecine légale harmonisée et de qualité », dotée « d’un financement pérenne ». À la clef de cette double réorganisation, juridique et financière, les professionnels espèrent une amélioration de la qualité des actes, une promotion de la recherche en médecine légale, et une prise en charge plus éthique des familles et des proches.
Financement forfaitaire.
Première innovation, toutes les structures de médecine légale, qu’elles relèvent de la thanatologie (Institut médico-légal, IML) ou de la médecine du vivant (Unité médico-judiciaire, UMJ), sont intégrées dans des établissements publics de santé (EPS). À l’échelle régionale, 30 EPS, « centres-pivots », abritent un IML et une UMJ. Les départements se partagent 48 UMJ. Enfin, un réseau de proximité, comprenant les services des urgences hospitalières, des médecins libéraux et des associations de médecins, reste disponible au niveau local.
Le choix des 30 structures hospitalières abritant les IML, laissé à la discrétion des ministères de la Justice et de la Santé, a été déterminé en fonction du « volume annuel des actes recensés et de l’activité minimale que les professionnels de médecine légale, notamment les universitaires, estiment nécessaire pour garantir la bonne qualité des autopsies », stipule la circulaire du 27 décembre 2010. Le texte précise également que l’activité doit être d’au moins 100 autopsies par an pour deux praticiens.
Les UMJ sont quant à elles classées en cinq types d’organisation et de permanence médicale en fonction de leur volume d’activité. Le réseau de proximité n’est, in fine, destiné qu’à compléter ce maillage territorial, lorsque les juridictions ne sont pas rattachées à une structure hospitalière, ou, par dérogation, lorsque les services habituels, exceptionnellement, ne sont pas accessibles.
Au chapitre du financement, le principal apport de la circulaire du 27 décembre est le forfait annuel, délivré aux EPS (et non plus aux médecins réquisitionnés) par le ministère de la Justice, selon un prix décidé en concertation avec le ministère de la Santé. L’assurance-maladie est uniquement chargée de l’accompagnement psychologique des victimes. Concrètement, elle financera un équivalent temps-plein de psychologue par structure hospitalière. Le réseau de proximité échappera au financement forfaitaire, comme certains actes (levées de corps, gardiennage des scellés), ou structures originales (l’UMJ de l’hôtel-Dieu, l’IML de Paris ou l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale).
Le pari de la qualité.
Pour nombre de professionnels de la médecine légale, la régionalisation est un gage de progrès. « Cette circulaire devrait résoudre de nombreux problèmes et corriger les déséquilibres, c’est un grand pas », estime Christian Hervé, directeur du laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale de la faculté de médecine Paris V- Descartes.
Premier argument, la concentration des autopsies dans les IML devrait nécessairement en améliorer la qualité. « Plus on pratique, plus on s’améliore, analyse Éric Baccino, chef du service de médecine légale du CHU de Montpellier, et les centres importants ont les capacités pour réaliser des examens sophistiqués nécessitant une technologie de pointe ». Le financement des établissements au forfait constituera un autre levier de qualité : « Cela permet une gestion durable des services régionaux et conduit les IML à une plus grande responsabilité dans leur choix de praticiens », estime André Flajolet, député (UMP) du Pas-de-Calais et auteur d’un rapport sur la médecine légale en juin 2010.
Formation et recherche devraient également être les grands gagnants de la régionalisation. « Cette réforme donne de la vigueur à la discipline », juge Christian Hervé. Selon lui, seuls des spécialistes confirmés officieront dans les CHU, où seront également formés les futurs praticiens, puisque les centres-pivots ont un rôle d’enseignement et d’animation du réseau. La recherche se développera dans le cadre d’études collaboratives et les pratiques pourront être évaluées. Une nécessité pour la valorisation de la médecine légale, d’après Christian Hervé : « Nous étudierons comment les patients nous sont amenés, nous examinerons les techniques d’enquête et les circuits les plus pertinents afin de renforcer la qualité, la sécurité et l’éthique des pratiques. »
Un texte ouvert.
Si beaucoup reconnaissent dans cette réforme une avancée cruciale, de nombreux points restent à préciser. À commencer par les questions relatives à l’éthique. La régionalisation entraînera, comme le souligne la circulaire du 28 décembre, un allongement des distances des transports de corps. Pour André Flajolet, « mieux vaut faire quelques km de plus pour se rendre dans un CHU où la chaîne de responsabilités est identifiée et l’accueil des proches organisé, que de se retrouver dans les arrière-salles de structures locales. » Une logique que dénonce Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) : « C’est le même processus que pour la réforme de la justice, ou la suppression des maternités, fermer les unités locales conduit à un embouteillage et à des cafouillages dans les hôpitaux, qui seront préjudiciables aux victimes. »
La question du surcoût lié à l’allongement des distances reste également en suspens, bien qu’une « très prochaine » instruction doive la résoudre. Celle du financement des levées de corps, du gardiennage des scellés et des examens complémentaires, encore à l’acte, n’est pas réglée. Pire, les EPS, faute de temps pour s’adapter, risquent de ne pas pouvoir mettre en œuvre cette réforme, promulguée il y a moins d’un mois.
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