P OUR la troisième fois dans une carrière tumultueuse, dans une vie pleine de bruit et de fureur, le french doctor plus habitué aux drames de la planète qu'au salons dorés de la République, se retrouve donc chargé des affaires de la santé.
La première fois, c'est en avril 1992. Pierre Bérégovoy succède à Edith Cresson, René Teulade prend les Affaires sociales à la place de Jean-Louis Bianco. Le discret Bruno Durieux cède son ministère délégué à la Santé. La France est encore traumatisée par l'affaire du sang contaminé. Cinquante-cinq pour cent des Français pensent que le système de transfusion sanguine n'est pas sûr. C'est dans ce contexte que Bernard Kouchner, jusque-là secrétaire d'Etat à l'action humanitaire, devient ministre chargé de la Santé et de l'Action humanitaire. En un peu moins d'un an, jusqu'à la fin mars 1993, il va entreprendre plusieurs chantiers et promouvoir quelques réformes : il réorganise le système de la transfusion sanguine, crée l'Agence française du sang et l'Agence du médicament qui est devenue une institution unanimement respectée. C'est dans ce domaine-là que son action est sans doute la plus décisive.
Mais onze mois, c'est court et, malgré son activisme de tous les jours, Bernard Kouchner ne réussit pas à faire aboutir quelques réformes qui lui tiennent à cur et qui, huit ans après, sont toujours à l'état de projets : la réforme des études médicales - qui est cependant aujourd'hui en bonne voie et celle de l'indemnisation de l'aléa thérapeutique qui doit figurer dans le projet de loi modernisation sanitaire.
Tous ces chantiers, Bernard Kouchner va s'y atteler à nouveau lorsque, quatre ans plus tard, à la suite d'une « initiative hasardeuse » - la dissolution - la gauche revient aux affaires et lui au secrétariat d'Etat à la Santé, sous la tutelle, quelque peu pesante, de Martine Aubry. En deux ans - il partira en juillet 1999 pour le Kosovo -, il ferraille et ne ménage ni son temps, ni son énergie pour arracher quelques arbitrages et faire avancer d'autres chantiers. Il entend favoriser la lutte contre la douleur et lance un plan prévoyant notamment la suppression du carnet à souches et la formation des professionnels de santé.
Les droits des patients
Il organise les états généraux de la santé qui déboucheront, un an après, sur l'annonce par Lionel Jospin d'une loi sur les droits du malade comportant une disposition emblématique : le libre accès au dossier médical et le droit à l'information des patients. Cette loi, qui est devenu le projet de modernisation sanitaire, n'a toujours pas été présentée en conseil des ministres. Son examen en première lecture est prévu pour le printemps, mais le calendrier est serré. Et la ténacité de Bernard Kouchner ne sera pas de trop pour éviter l'enlisement.
Toujours entre 1998 et 1999, Bernard Kouchner renforce la sécurité transfusionnelle en introduisant la déleucocytation systématique. Il autorise la vente libre de substituts nicotiniques et décide la déclaration obligatoire de séropositivité afin de mieux cerner l'ampleur de l'épidémie du SIDA. Une déclaration qui tardera à entrer en vigueur.
Plongé dans la politique hexagonale, Bernard Kouchner n'en délaisse pas pour autant les malheurs de la planète. Il n'aura de cesse de faire aboutir son projet de Fonds de solidarité thérapeutique international en faveur des malades du SIDA qui ne peuvent avoir accès aux traitements. Un fonds qu'il réussira à lancer en avril 1999, non sans difficulté.
Lors de ces deux passages au ministère de la Santé, Bernard Kouchner a orienté essentiellement son action sur les droits des patients. Mais il n'a pas négligé pour autant les professionnels de santé même si, parfois, il a eu des mots assez durs pour qualifier d'immobiliste ou de corporatiste l'attitude de certains praticiens libéraux. Praticiens auxquels il reprochait parfois de refuser les évolutions, indispensables à ses yeux, du système de soins.
Une dichotomie contestée
Etant chargé de la santé mais non pas de l'assurance-maladie, qui restait entre les mains de Martine Aubry - dichotomie qu'il avait déplorée dés son premier passage avenue de Ségur, car il estimait qu'elle le privait des moyens de sa politique - Bernard Kouchner a eu peu de prise sur les dossiers concernant l'organisation du système de soins, les relations entre les médecins et les caisses d'assurance-maladie, voire la politique hospitalière. Cela ne l'a pas empêché de jouer un rôle très actif dans certains domaines - notamment la gestion de la crise des internes qui a débouché sur un important effort en faveur de ces jeunes médecins. Il fut aussi un avocat inlassable de la revalorisation de la médecine générale (pour lui les honoraires de la consultation des généralistes doivent être égaux à ceux de la consultation des spécialistes).
En revenant avenue de Ségur, Bernard Kouchner va pouvoir mesurer une fois de plus le poids des pesanteurs sociologiques et la difficulté qu'il y a à réformer le système de soins. Nombre de chantiers ont été laissés en jachère ou n'ont guère progressé depuis sa nomination en juillet 1999 au Kosovo. Où l'attendaient, il est vrai, des défis autrement périlleux.
Du Biafra au Kosovo
N E le 1er novembre 1939, en Avignon, Bernard Kouchner a une formation de gastro-entérologue.
Dès 1968, il se passionne pour les causes humanitaires, puisqu'il part cette année-là, au titre de la Croix-Rouge, pour la guerre du Biafra, qui fera des centaines de milliers de morts et qui sera en fait l'un des premiers conflits où le concept du « devoir d'ingérence » sera mis en avant.
Désormais, le french doctor, comme on le surnommera un peu plus tard, va parcourir le monde de conflit en conflit, créant, dès 1971, Médecins sans Frontières et, en 1980, après une scission avec ses amis, Médecins du Monde. Il mènera, au nom de ces deux organisations, des missions au Liban, au Kurdistan, au Tchad, en Erythrée, au Vietnam, au Cambodge, en Amérique centrale, en Afghanistan, sans oublier la Somalie, où un sac de riz porté devant les caméras du monde entier a provoqué bien des polémiques.
Sa carrière politique commence vraiment en 1988, où il rejoint, après la réélection de François Mitterrand à l'Elysée, le gouvernement de Michel Rocard en tant que secrétaire d'Etat chargé de l'Insertion sociale, puis comme secrétaire d'Etat à l'Action humanitaire.
Il sera ensuite, dans le gouvernement de Pierre Berégovoy 1992-1993, ministre de la Santé et de l'Action humanitaire.
Député européen de 1994 à 1997, il lui faudra attendre la victoire de la gauche plurielle aux législatives de 1997 pour occuper de nouveau le poste de secrétaire d'Etat à la Santé, dans le gouvernement Jospin, sous la tutelle de Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Avant d'être nommé haut représentant des Nations unies au Kosovo en juillet 1999.
Il retrouve donc aujourd'hui à la Santé, avec rang de ministre, cette fois-ci, mais toujours sous la tutelle de la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou.
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