O N a vite fait, en France, d'ouvrir une polémique sur n'importe quel sujet. Dès que le débarquement des 900 réfugiés kurdes sur la côte du Var a été annoncé, on a entendu une série de réactions, l'une plus prévisible que l'autre.
Charles Pasqua a immédiatement déclaré qu'il fallait renvoyer chez eux les boat people. Il a été rejoint par des centaines de voix, toutes porteuses du même message, qui est en même temps la référence historique que nous devons à Michel Rocard : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. »
A quoi ont aussitôt répondu les opinions diamétralement opposées, parfois marquées par un humanisme à bon marché, comme s'il était de bon ton de prouver en premier lieu qu'on était charitable : on ne peut pas abandonner ces pauvres gens à leur sort, après l'épreuve épouvantable qu'ils viennent de subir. Des habitants de la côte, venus en curieux sur la plage où le navire des réfugiés avait échoué, se déclaraient prêts à prendre en charge les immigrés clandestins.
Déjà une manifestation
Prudent, le gouvernement a annoncé qu'il examinerait au cas par cas les demandes d'asile politique, ce qui a d'ailleurs été fait promptement, de même que les secours (« le Quotidien » d'hier) ont été très vite organisés, pour un groupe qui, en définitive, ne comportait pas de malades, mais avait vécu pendant quinze jours dans des conditions sanitaires déplorables.
Le comble a été atteint quand quelques-uns des Kurdes, accueillis dans une caserne de l'infanterie de marine, ont manifesté pour exiger une accélération des formalités et réclamer leur droit d'asile. Naguère opprimés, aujourd'hui revendicatifs. Les clandestins ignoraient qu'ils échoueraient en France, mais, quand ils l'ont appris, ils savaient qu'il s'agit du pays où la première chose à faire quand on veut obtenir ce à quoi on n'a pas droit, c'est de manifester.
Ce comportement ne doit diminuer en rien la compassion qu'ils nous inspirent. Mais l'immigration, légale ou non, ne peut pas être traitée au niveau des sentiments. Les médias ont accordé à cette affaire une importance considérable, et à juste titre, car c'est la première fois que des clandestins débarquent en France pour y rester. En général, ils choisissent l'Italie, dans l'espoir de gagner ultérieurement la Grande-Bretagne. Ceux qui parviennent à rester chez nous ne forment pas jamais des groupes massifs. L'environnement politique de l'affaire ne doit donc pas être occulté. Car elle apporte plusieurs éléments d'appréciation : d'abord elle montre qu'il ne fait pas bon être kurde au pays de Saddam Hussein, cette victime « innocente » des embargos de l'ONU, qui continue à terroriser les minorités de son pays ; et que, si les Kurdes sont en état permanent de soulèvement contre les Turcs, ils ne sont pas mieux traités en Irak, et probablement en Iran et en Syrie, dictatures capables de faire le silence sur le sort qu'elles réservent à leurs opprimés.
Ensuite, il n'est pas impossible que le gouvernement turc, ulcéré par la décision du Parlement français de reconnaître le génocide des Arméniens, et qui a déjà procédé à diverses représailles économiques contre la France, ait souhaité embarrasser notre gouvernement en favorisant le débarquement des réfugiés sur nos côtes. Nous n'en serions alors qu'au début d'une vague de boat people. Réagir en accordant au premier groupe un droit d'asile automatique, c'est ouvrir les portes de notre pays à tous les clandestins d'Europe et d'ailleurs.
Enfin, la France doit mener à son terme une enquête approfondie sur les responsabilités : l'armateur syrien, le capitaine et l'équipage du navire, les pays, Syrie et Irak, concernés par l'affaire. Un asile politique collectif reviendrait à récompenser des bandits de grands chemins et des gouvernements qui ne respectent aucune règle, et sûrement pas le droit international.
Et les autres ?
Il y a autre chose, qui n'a rien à voir avec la politique : chaque année, des milliers de réfugiés arrivent en France, des dizaines de milliers d'autres passent par la France pour aller ailleurs. Tous ceux-là n'ont pas fait l'objet d'une couverture médiatique, de sorte qu'ils traversent leurs épreuves dans l'indifférence complète des Français, sauf quand ils meurent étouffés dans un camion. Nous ne devons pas avoir un cur pour les réfugiés que nous voyons et pas de cur pour ceux que nous ne voyons pas. Ce qui démontre une fois encore que, quelles que soient les souffrances des immigrés clandestins, quelles que soient la pitié et la charité qu'ils font naître en nous, quelle que soit notre volonté de châtier les criminels qui tirent profit de la misère du monde avant de nous forcer à l'accueillir, nous ne pouvons pas nous abandonner à notre sentimentalité.
De ce point de vue, l'attitude du gouvernement aura été la plus raisonnable. On imagine son amertume quand il voit que, dans l'opposition, si M. Pasqua reste fidèle à lui-même, d'autres, qui n'hésitent jamais à faire feu de tout bois, lui reprochent sa réserve à l'égard des réfugiés alors que, auparavant, ils s'étaient ralliés à des mesures sévères pour l'immigration clandestine. Lionel Jospin ne peut pourtant pas faire autrement que d'appliquer les lois en vigueur, qui interdisent l'accueil définitif d'un immigré clandestin, mais interdisent aussi l'expulsion d'un réfugié politique.
Le statut, ils l'ont
Cela dit, le statut des Kurdes arrivés samedi dernier est tout entier contenu dans leur démarche. Ils ont quitté l'Irak et n'y retourneraient pas, compte tenu de ce qu'on sait de Saddam Hussein, sans subir les pires exactions. Les renvoyer, c'est risquer de les condamner à mort.
Le gouvernement s'efforcera donc, dans un premier temps, de situer les responsabilités. L'espace de Schengen a été créé pour abolir les frontières intérieures d'un groupe de pays européens, mais aussi pour renforcer les frontières extérieures du même espace. Si le navire a quitté, par exemple, un port grec, avant de venir s'échouer sur la côte méditerranéenne de la France, c'est en Grèce qu'il faut renvoyer les boat people. Sinon, nous n'aurons pas d'autre choix que de les recevoir définitivement et de les intégrer. Mais on ne fait pas une politique de l'immigration avec des sentiments.
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