Le sixième rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale que François Logerot, premier président, a rendu public hier, révèle la déficience quasi systématique des mécanismes de régulation des dépenses d'assurance-maladie depuis 1996.
Le tableau n'épargne ni les instruments d'encadrement financier (maîtrise dite « comptable » honnie par la profession médicale), ni la politique conventionnelle avec les libéraux, ni la gestion du risque par les caisses, ni les outils tentant d'agir sur les comportements des patients ou des prescripteurs, ni la politique du médicament. Une faillite globale qui, conjuguée au ralentissement des recettes depuis 2002, a contribué aux déficits vertigineux que l'assurance-maladie accuse aujourd'hui : 6,1 milliards d'euros en 2002 et vraisemblablement « plus de 11 milliards en 2003 ».
Conflits permanents
Les divers mécanismes d'encadrement financier par le biais de sanctions collectives et individuelles (reversements, lettres clés flottantes, objectifs de dépenses déléguées...), en place jusqu'à la loi de financement de 2001, ont totalement échoué. « Aucun de ces systèmes n'a pu fonctionner, en raison soit de problèmes juridiques, soit d'impossibilités techniques (...) », analysent les magistrats de la rue Cambon. Il est vrai que le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat ont beaucoup censuré à l'époque, grâce aux recours opiniâtres des syndicats... La gestion du risque maladie par les caisses n'a que très faiblement progressé . « Alors que 5 % des assurés occasionnent 60 % des remboursements du régime général, leurs caractéristiques n'ont pas été étudiées de manière à déterminer si des mesures correctrices pouvaient être prises », regrette le rapport, qui critique « le défaut de connaissance patent » en matière d'indemnités journalières, de transports sanitaires ou d'ALD. En 2003, les pouvoirs semblent toutefois avoir pris conscience de la nécessité de s'attaquer à ces postes de dépenses très dynamiques. La politique du médicament ? « Les quantités consommées par habitant sont parmi les plus élevées au monde », rappelle la Cour, qui juge que des « objectifs contradictoires » sont poursuivis simultanément (réseau de distribution dense et préservé, protection contre l'importation parallèle, taux moyen de remboursement élevé, nombre élevé de présentations admises au remboursement...).
La politique conventionnelle avec les professions de santé libérales, « enserrée dans un faisceau de contraintes juridiques et pratiques » a montré également ses limites pour réguler les dépenses de ville. « Alors même que la plupart des professions, à l'exception des spécialistes, étaient sous convention depuis la fin des années 1990, le rythme des dépenses s'est fortement accéléré », constate la Cour. De fait, presque toutes les conventions ont été attaquées, et souvent partiellement annulées, en raison des conflits permanents entre l'assurance-maladie et les syndicats non signataires. Les difficultés de l'option médecin référent (6 181 médecins fin 2001, 6 372 fin 2002, soit 10 % des généralistes) ou de la démarche de soins infirmiers (DSI) sont une autre illustration de ces blocages. Récemment encore, alors que la loi du 6 mars 2002 avait rénové l'architecture des conventions en prévoyant la signature d'un accord-cadre interprofessionnel (ACIP), la démarche « a buté sur le refus de certains syndicats médicaux que l'accord-cadre soit conclu avant leur propre convention ».
Quant aux négociations sur les honoraires, chapitre le plus sensible de la vie conventionnelle, la Cour des comptes estime sans fard qu' « elles se déroulent sans repères clairs ». Ainsi, la CNAM ne ferait pas de comparaison entre les revenus des libéraux et ceux d'autres catégories, elle maîtriserait mal certains « effets de nomenclature » ou ne connaîtrait pas le total des rémunérations qu'elle verse « indépendamment des honoraires » (prise en charge partielle des cotisations sociales, aides à la formation, paiement des astreintes, rémunérations liées aux réseaux...). Bref, la caisse serait un assez piètre gestionnaire.
Evaluation des pratiques : montée en charge poussive
Les mécanismes de régulation à moyen terme, qui visent à infléchir certains comportements abusifs, n'ont pas encore fait leurs preuves, même si la dynamique est souvent intéressante, relève le rapport. L'évaluation des pratiques professionnelles démarre, mais très lentement. En mars 2003, 180 médecins libéraux s'étaient portés volontaires pour se soumettre à une évaluation individuelle ou collective », note la Cour. La certification des pratiques médicales « n'en est qu'à ses balbutiements ». Les références médicales opposables, issues de la convention de 1993, qui visent à éliminer soins dangereux et prescriptions inutiles ? Depuis 1999, « les RMO demeurent en théorie opposables, mais leur non-respect n'est pas sanctionné ». Pire, qu'il s'agisse de références médicales ou de référentiels de pratique, « l'assurance-maladie a peu fait appel à l'ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé) ces dernières années, sauf dans la période la plus récente ». Une note encourageante : le développement d'accords de bon usage des soins (AcBUS). Mais là encore, le rapport considère que leur champ « ne recouvre pas celui des sources actuelles de dérive des dépenses ». Last but not least, la formation médicale continue (FMC) fait l'objet d'un sous-chapitre, très critique, que la Cour résume en une phrase (trop ?) lapidaire. « Une histoire tourmentée a abouti à une coexistence de divers systèmes, dont aucun n'a aujourd'hui de dimension significative ». Les milliers de médecins libéraux qui se forment régulièrement, au-delà des péripéties légales et conventionnelles, apprécieront.
2002 : le dérapage général
Selon le rapport, les dépenses d'assurance-maladie en 2002 « ont en pratique évolué hors de tout cadre de régulation ». Du coup, le dépassement de l'Objectif national d'assurance-maladie (ONDAM) a été le plus important depuis l'origine (1997). Arrêté à 112,8 milliards d'euros par la loi de financement, l'objectif a été exécuté à 116,7 milliards, soit un dépassement de 3,9 milliards. Si cette dégradation exceptionnelle a plusieurs causes (tous les secteurs de soins ont contribué au décrochage), les dépenses de soins de ville ont augmenté plus vite que celles des établissements sanitaires. « Elles ont représenté plus de 77 % du dépassement total de l'ONDAM », précise le rapport. Pour l'assurance-maladie, le seul coût des revalorisations tarifaires pour les infirmières, les laboratoires d'analyses médicales et surtout les généralistes (en janvier, puis en juin) a été de 780 millions d'euros en 2002 (1,1 milliard en année pleine). Le poste des IJ a aussi bondi de 14,1 % en 2002 (1 milliard d'euros supplémentaire). Les dépenses de médicaments ont progressé de 6,9 %. Mais d'autres décisions « prises en cours d'exécution » par les pouvoirs publics auraient dû, selon les magistrats, conduire à une révision de l'objectif, comme la forte revalorisation des tarifs des cliniques (+ 3,93 %), les dispositions pour tirer les conséquences de la RTT dans les établissements publics (400 millions d'euros pour le compte-épargne temps) ou pour faire face aux insuffisances de financement des hôpitaux (300 millions).
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