L’art-thérapie s’expose à Toulouse

Dessine-moi une histoire

Publié le 01/06/2015
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Cinq journées durant, l’Hôtel Dieu de Toulouse a accueilli la cinquième édition de l’exposition d’art-thérapie. La foule des visiteurs a pu admirer, observer, s’étonner d’œuvres aussi singulières les unes que les autres. Des œuvres d’art pourrait-on dire, si l’appellation n’était pas controversée.

Ces créations plastiques – entre autres toiles, dessins, installations, sculptures – étaient celles des patients du Dr François Granier, un des pionniers de l’art-thérapie en France. Mais la principale valeur de ces travaux, a souligné le psychiatre, c’est la « sincère volonté de participation de chacun. » Quarante exposants au total, hospitalisés ou suivis de longue date au sein des ateliers d’art-thérapie du Dr Granier.

Entre objectivité et subjectivité

Praticien hospitalier au service de psychiatrie de Toulouse, ce spécialiste a profité de son clinicat, dans les années 1980, pour inclure les médiations artistiques au sein du service universitaire. Une vingtaine d’années plus tard, il reste pionnier en la matière en offrant la possibilité aux patients d’exposer leurs créations. À chaque année sa thématique. La dernière cuvée de 2015 sera celle des « Histoires ». Histoires de (la) vie, histoire de l’art, histoires contées, histoires devinées… autant d’histoires que de patients, autant d’interprétations que de lecteurs, dont le regard se meut entre subjectivité et objectivité, forcément saisi par ces projections de la folie. De la folie, vraiment ? À aucun moment, le Dr Granier ne prononce ce terme.

Le psychiatre n’hésite cependant pas à nommer les pathologies dont souffrent les auteurs, et les éventuels traitements dont ils bénéficient. La visée est didactique. Le praticien analyse les créations d’un patient atteint d’une schizophrénie dysthymique. De figures mythiques peintes grossièrement – un Diable ou un Dieu cerné par le feu – en formes psychédéliques soigneusement agencées, la chronologie des images révèle une tentative de contenir, par la linéarité, un imaginaire angoissant. « Ce travail est celui d’une mise en ordre », précise François Granier.

Psychopathologie artistique

« L’art possède un pouvoir d’élaboration propre », indique le spécialiste qui, au détour d’un dessin emprunt de « génie maniaque », émet le principe selon lequel la géométrie permettrait de contenir les émotions en leur donnant une forme. L’expression pure précédant la mise en forme, certains travaux témoignent de cette dilatation des limites caractéristique des structures psychotiques. Des images floues, en pointillé, fondues ou explosives, en sont le reflet. Et suscitent l’appellation, par le Dr Granier, d’ « ornementation schizophrénique ».

Que se passe-t-il du côté des névrosés ? Eux, sont en mesure d’exploiter un éventuel « don », contrairement aux individus souffrant de psychose. Mais ceux-ci ne franchissent que rarement le pas des ateliers du psychiatre, qui accueille principalement des patients souffrant de troubles psychotiques sévères ou de troubles du comportement alimentaire. Dans la pièce qui leur est réservée, et que le Dr François Granier qualifie de « lisse, parfaite et irréprochable », la netteté et la naïveté des productions étonnent. Mais « derrière cette expression claire et simpliste peut se jouer le feu », prévient le psychiatre. Des dessins, des collages, des peintures de facture enfantine, desquelles peuvent surgir une profondeur et une gravité sans égales. Comme ce dyptique illustrant de part et d’autre une petite fille blonde aux grands yeux et une tête de mort relevée de vives couleurs. Et ces collages faisant honneur aux roses, aux papillons noirs et aux cages dorées… Là où le dessin ne protège pas de l’auto-censure, de par l’effort technique qu’il implique, le collage shunte les éventuelles résistances.

« Acte thérapeutique »

Selon le Dr François Granier, « les images permettent de raconter des choses qui touchent ». Et de débloquer, par des voies inattendues, les émotions cadenassées. Le spectateur, même, est invité à se déconditionner. À bousculer ses repères habituels, à entendre l’écho que ces créations suscitent. Et, pourquoi pas, à revisiter sa propre histoire. Car derrière ces narrations singulières se tient une expérience infinie et universelle, l’expérience de la transformation. Les œuvres exposées rendent compte tour à tour des différentes étapes du processus créatif, et des enjeux psychologiques qu’il implique. « L’on ne peut créer qu’en fonction de ses capacités de représentation et de symbolisation », précise le Dr Granier. Et l’art-thérapie entend solliciter ces dernières. De l’expression cathartique à la réparation, en passant par l’élaboration et la prise de recul, ses fonctions résonnent dans l’œil du spectateur. C’est ainsi que l’exposition, en tant que telle, intervient comme « acte thérapeutique ». Elle fournit une perspective à même d’ « encadrer et d’accompagner ce processus de transformation ». Autour du théâtre de marionnettes, François Granier s’explique : « Tout au long de la création, c’est l’émulation. Les patients sont à la fois stimulés par l’échange et le travail en groupe. À la fin, c’est l’assomption. Pour que la pièce soit présentable au public, il y a des règles à respecter. Le sujet doit se dédoubler, à la fois psychiquement et spatialement pour faire vivre sa marionnette. » Décentration et prise de distance interviennent donc de surcroît, laissant une place à l’autre et à l’intersubjectivité, une compétence mise en défaut dans de nombreuses affections psychiatriques.

Dr Ada Picard

Source : Le Quotidien du Médecin: 9416