« En 10 ans, les prescriptions d'opiacés antalgiques pour douleurs non cancéreuses ont augmenté de 88 % », explique le Pr Nicolas Authier (Observatoire français des médicaments antalgiques)

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Publié le 06/09/2018
opiacés antalgiques

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Crédit photo : PHANIE

La consommation d'antalgiques opiacés forts a doublé en France en plus de dix ans. 1,1 % des Français en consomment au moins une fois dans l'année, contre 0,54 % en 2004, selon l'Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA). Son directeur, le Pr Nicolas Authier (CHU de Clermont-Ferrand), membre de la commission des stupéfiants et des psychotropes de l'ANSM, fait le point sur cette tendance de fond et appelle à « mieux prescrire ».

LE QUOTIDIEN : Selon l'OFMA, les hospitalisations pour surdosage d'antalgique ont augmenté de 167 % entre 2004 et 2017 (2 586 hospitalisations/million d'habitant en 2017) et le nombre de décès de 146 % en 10 ans (3,2/million en 2015). Comment expliquez-vous cette hausse ?

Pr NICOLAS AUTHIER : Les prescriptions pour des douleurs non cancéreuses ont augmenté de 88 %. Or on constate que c'est généralement dans ces indications que les prises d'opiacés dérapent et que l'addiction s'installe. Ces 10 dernières années ont été marquées par l'arrivée de nouvelles formes de fentanyl à libération immédiate. Normalement réservées aux douleurs liées au cancer, beaucoup sont prescrites hors AMM pour des douleurs ostéo articulaires. L'arrivée de l'oxycodone a en outre été accompagnée d'une promotion pharmaceutique qui a poussé ce médicament sur le marché des douleurs non cancéreuses où la morphine n'était pas. Les laboratoires ont également obtenu un élargissement des indications aux lombalgies chroniques, aux arthroses du genou et de la hanche.  

Enfin, les opiacés bénéficient d'un effet psychotrope apaisant et parfois sédatif qui peut se traduire par un effet anxiolytique ou antidépresseur. Cela peut conduire les patients à un surdosage progressif. Un de mes patients prend du tramadol depuis 15 ans suite à un accident de moto. Le Tramadol a également guéri son trouble anxieux. Il a développé une dépendance physique et prend 32 comprimés par jour !

Les médecins doivent-ils moins prescrire ?

Il ne faut pas tant « moins prescrire » que « mieux prescrire ». Ces médicaments sont importants dans la prise en charge des douleurs du cancer, mais je crois qu'il faut mieux évaluer les patients avant et pendant la prise. Il faut rechercher une dépression, une anxiété chronique ou des antécédents qui sont autant de facteurs de risque de dépendance. Si on trouve de tels facteurs, il faut envisager de faire des prescriptions plus courtes, interroger régulièrement le patient sur la finalité thérapeutique de la prise du médicament : le prend-il pour calmer la douleur ? Pour dormir ? Se détendre ? Se stimuler le matin ?

L'OFMA s'est par ailleurs emparé de la question de l'information des usagers. En novembre 2018, avec l'ANSM et la Société française d'étude et de traitement de la douleur, nous allons élaborer un document sur les 3 grandes classes d'antalgiques : paracétamol, ibuprofène et antalgiques opioïdes qui traitera du risque de surdosage et d'addiction. Il faut aussi se débarrasser du leurre de la séparation entre opioïdes faibles et forts qui laisse entendre que certains sont moins à risque d'autres.

Les approches complémentaires comme l'hypnose ou la psychothérapie peuvent-elles aider à réduire le recours aux antalgiques ?

Ces approches sont développées dans les structures douleurs chroniques mais il faudrait aussi qu'elles soient également disponibles en médecine de ville, ce qui pose la question de la prise en charge. Face à la problématique de la douleur modérée à sévère chronique, notre arsenal est limité. Des recherches sont menées sur des antalgiques dérivés de la morphine ayant moins d'effets indésirables. À Clermont-Ferrand, nos équipes ont identifié le récepteur TREK, en amont des récepteurs classiques des opioïdes, et développent des candidats médicaments pour s'y fixer.

Le cannabis thérapeutique ou l'utilisation de cannabinoïdes pourraient-ils se révéler utiles dans ce cadre ?

Le cannabis n'est pas une substance anodine et n'a a priori pas un effet majeur. Aux États-Unis, c'est une piste sérieuse car la crise sanitaire est telle qu'ils n'ont pas grand-chose à perdre à tenter cette approche. En France, la crise est bien moindre et il n'y a pas une telle urgence. Toutefois, il est possible que l'on puisse se servir du cannabis thérapeutique dans une petite partie de la population avec des troubles anxieux ou qui sont réfractaires aux antalgiques.

La commission des stupéfiants et psychotropes de l’ANSM prépare un plan de réduction des overdoses et des décès dus aux opiacés. Que faut-il en attendre ?

Deux travaux sont en cours : un rapport sur l'usage des antalgiques qui s'appuie sur les rapports d'addictovigilance, et un plan spécifique aux overdoses, fruit de la collaboration entre l'ANSM et la DGS. Ce dernier dépasse le cadre des antalgiques, puisqu'il traitera aussi du risque d'overdose avec les traitements de substitution aux opiacés.

Un des axes prioritaires sera l'accès à la naloxone, et surtout la naloxone en spray désormais disponible. Pour quelle raison ?

La naloxone a été développée pour la population des toxicomanes, mais nos données indiquent qu'il faudrait aussi la proposer aux patients traités pour des douleurs. Nous attendons actuellement des arbitrages pour que ces médicaments soient prescrits, remboursés et disponibles sans ordonnance.

Une alternative aux opiacés à laquelle on pense peu est la buprénorphine, qui était pourtant à l'origine conçu comme un anti douleur, et dont la sécurité d'emploi est plus important que celle de la codéine et du tramadol.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr