S IMULTANEMENT, la revue « Nature » publie les résultats du consortium public international de séquençage sur le génome humain, et la revue « Science » les résultats de Celera Genomics, le concurrent privé (« le Quotidien » d'hier). Il y a risque de méprise : le parallélisme des publications ne signifie pas l'équivalence des travaux. Le programme Génome humain (Human Genome Project - HGP) est fondateur, et ses principes ont davantage de légitimité que ceux de Celera. C'est ce qui a été rappelé lors de la conférence de presse organisée par « Nature » au ministère de la Recherche, les participants soulignant que l'Europe doit maintenant rapidement entériner ces principes dans une législation sur les droits des chercheurs.
Programme privé et données publiques
Sur le plan technique, d'abord, pour Jean Weissenbach (directeur du Centre national de séquençage), il apparaît que « la stratégie de Celera a en fait échoué ». Sans entrer dans le détail, la stratégie publique consistait à séquencer de grands fragments d'ADN préalablement ordonnés les uns par rapport aux autres. La stratégie de Celera, dite séquençage aléatoire, consistait, elle, à séquencer une multitude de petits fragments très chevauchants, charge ensuite à l'informatique de les réordonner en fonction des chevauchements. En fait, « une lecture entre les lignes de l'article de "Science" montre que l'équipe de Celera a simplement fait tourner ses propres programmes avec les données publiques », en n'hésitant pas à les fragmenter de manière à pouvoir effectivement les réordonner. Cela n'empêche d'ailleurs pas Celera de revendiquer, dans un communiqué, des données à la fois plus complètes et plus précises que celles du consortium : on voit que Graig Venter n'a pas consenti aisément, ni définitivement, à se rallier aux principes du programme public.
Ces principes sont au fond des principes politiques, aujourd'hui adoptés, ou au moins débattus au niveau européen. Noëlle Lenoir en a rappelé l'essentiel : des données publiques sont une condition de la liberté de chercher. Cette liberté a été affirmée pour la première fois dans une charte européenne des droits fondamentaux. Elle se double, pour les chercheurs, d'un droit de propriété intellectuelle sur le fruit de leurs recherches - étant admise l'interdiction de tirer profit du corps humain en tant que tel.
En amont, la question posée est celle du statut de la connaissance scientifique : est-elle ou non un produit commercial ? Noëlle Lenoir a rappelé qu'au G8 (sommet des pays les plus riches) d'Okinawa, avait été réaffirmé le principe de la liberté des chercheurs - qui implique le libre accès aux données de base. Toutefois, elle rappelle que l'OMC débat de la propriété intellectuelle, et selon des critères qui correspondent beaucoup plus aux options initiales de Celera Genomics : la connaissance scientifique est une marchandise, produit d'un capital, brevetable et achetable. En d'autres termes, même si Celera a finalement changé son fusil d'épaule et publié ses résultats, l'affrontement continue au plus haut niveau, entre des tendances que l'on voit par ailleurs se démarquer dans de nombreux secteurs de la société. Cet état de fait témoigne d'une question qui n'est pas réglée au niveau des principes, ce qui a toujours pour conséquence un vide juridique.
Brevetage ?
L'Europe a prêté le flanc, en raison d'une directive (6 juillet 1998), qui laisse la porte ouverte au brevetage des séquences. On doit au Pr Jean-François Mattei d'avoir, le premier en France, signalé l'ambiguïté, et d'avoir demandé à Jacques Chirac d'intervenir, pétition à l'appui. Lors de sa conférence de presse, Roger-Gérard Schwartzenberg a rappelé qu'une première demande d'interprétation de cette directive a été formulée par la France le 30 juin 2000, suivie d'une seconde, le 2 février dernier, qui portait spécifiquement sur l'article 5 de la directive, lequel pose problème. Juridiquement, les choses en sont là. On peut espérer qu'elles suivront l'évolution des choses sur le terrain.
Le ministre de la Recherche se réjouit de ce que Celera ait renoncé à son projet commercial initial, tout en soulignant que « si le secteur public n'avait pas été là, on aurait probablement risqué d'avoir des règles différentes ». « C'est un jour mitigé pour les intérêts privés, qui ont été obligés de s'aligner : on ne risque plus la confiscation du savoir. »
Concrètement, il s'agit d'abord de ne pas laisser tomber la recherche publique à ce stade. Le ministre rappelle qu'un budget de 4 milliards de francs est alloué sur cinq ans à la recherche sur le génome en France. Il s'agit aussi de construire un cadre législatif fondé sur des principes, plutôt que de suivre les circonstances - car la recherche publique ne gagnera pas forcément toutes les manches. Le libre accès aux résultats et la liberté de chercher sont essentiels. Le droit du chercheur sur ses résultats, la brevetabilité des inventions véritables, aussi. En fait, c'est bien en protégeant la liberté du chercheur que l'on favorise l'invention. Un champ immense lui est maintenant ouvert par la publication des données du génome. Si l'événement est salué de manière unanime, c'est sans doute que l'affaire n'était pas gagnée d'avance.
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