La Federal Communications Commission (FCC) interdit désormais par voie juridique de façon irrévocable les nouvelles ventes et importations de cinq entreprises chinoises (*). C’est la première fois dans son « Histoire » que l'agence bloque la vente d'équipements de télécommunications pour des raisons de sécurité nationale. Cette décision inclue le secteur de la santé.
La décision de la FCC a été votée à l'unanimité le 25 novembre dernier pour interdire les ventes aux États-Unis de tous les nouveaux équipements et dispositifs de télécommunications chinois produits, entre autres, par les deux géants des réseaux Huawei et ZTE - ainsi que pour restreindre l'utilisation d'autres équipements de vidéosurveillance fabriqués en Chine au motif pour mise mise en cause de la sécurité nationale américaine -.
Sécurité nationale
Le rapport et l'ordonnance (*) de la FCC exposant les nouvelles règles indiquent que l'agence a pris cette mesure « pour mieux sécuriser les réseaux de communication et les chaînes d'approvisionnement contre les équipements qui présentent un risque inacceptable pour la sécurité nationale des États-Unis ou la sécurité et la sûreté des personnes aux États-Unis ».
Ces dernières années, le Congrès et le gouvernement fédéral ont pris des mesures pour limiter la vente et l'importation d'équipements et de dispositifs produits par des entreprises chinoises, en invoquant des préoccupations concernant les liens étroits de ces entreprises avec Pékin – comprendre le gouvernement chinois et ses agences - et la possibilité pour certains acteurs d'exploiter les vulnérabilités des technologies afin de mener des opérations de « cyber espionnage » ou des cyberattaques sur les infrastructures critiques américaines.
« La FCC s’est engagée, et c’est sa mission, à protéger la sécurité nationale en veillant à ce que les équipements de communication non fiables et dangereux ne soient pas autorisés à être utilisés à l'intérieur de nos frontières, et nous poursuivons ce travail clé », a déclaré dans un communiqué la présidente de la FCC, Jessica Rosenworcel. « Ces nouvelles règles sont une partie importante de nos actions en cours pour protéger le peuple américain des menaces de sécurité nationale impliquant les télécommunications ». Alors que la FCC a pris des mesures dans le passé pour sévir contre l'utilisation d'équipements de télécommunications provenant d'entreprises chinoises - notamment en désignant Huawei et ZTE comme des menaces pour la sécurité nationale en juin 2020 - l'annonce de vendredi est unique dans les annales car l'agence a directement pris des mesures pour limiter l'accès du public à de nouveaux appareils en raison des risques de sécurité.
Une première
Brendan Carr, commissaire de la FCC, confirme formellement que « Notre décision unanime constitue la toute première fois dans l'histoire de la FCC que nous avons voté pour interdire l'autorisation de nouveaux équipements sur la base de préoccupations de sécurité nationale ». On ne peut plus clair. Huawei et ZTE n'ont pas commenté cette décision à la presse malgré les nombreuses questions de celle-ci. Les nouvelles règles de la FCC mettent en œuvre la directive du Secure Equipment Act, que le président Joe Biden a promulgué le 11 novembre 2021. « La loi interdit à la FCC d'examiner ou de délivrer de nouvelles licences d'équipement à des entreprises si elles figurent sur sa « liste des équipements ou services classifiés ». Les cinq entreprises chinoises visées par la FCC - Huawei et ZTE, ainsi que Hikvision, Dahua et Hytera - ont été ajoutées à la liste couverte le 12 mars 2021 ».
Imparfait de l’indicatif
Bien que les agences fédérales se sont vues précédemment interdites d'utiliser des équipements ou des services fournis par les cinq entreprises précitées dans la loi d'autorisation de la défense nationale depuis 2019, un rapport publié par le Centre pour la sécurité et les technologies émergentes de l'Université de Georgetown en octobre 2022 a révélé qu'au moins 1.681 gouvernements étatiques et locaux à travers 49 des 50 États ont acheté des technologies des entreprises interdites entre 2015 et 2021. Ce n’est pas en France que l’on verrait une loi sur la sécurité nationale transgressée. Nous sommes sérieux. La FCC se veut rassurante – a posteriori – « les règles, qui couvrent la vente et l'importation de nouveaux équipements et dispositifs provenant de ces entreprises, s'appliqueront aux « autorisations futures d'équipements identifiés sur la liste couverte ».
Infrastructures installées, Ouais, Ouais, mais plus pour longtemps
L'interdiction ne s'applique pas aux équipements précédemment autorisés par les cinq entreprises, bien que le rapport et l'ordonnance de la FCC indiquent que l'agence a également adopté un avis de proposition de réglementation pour, en partie, « solliciter d'autres commentaires sur d'éventuelles révisions supplémentaires des règles et procédures associées à l'interdiction de l'autorisation des équipements « classifiés dans notre programme d'autorisation des équipements ». En plus d'interdire les nouveaux équipements Huawei et ZTE, l'ordonnance restreint également la vente et l'importation de nouveaux « équipements de vidéosurveillance et de télécommunications » fabriqués par Hikvision, Dahua et Hytera. Pour ces trois entreprises, Rosenworcel stipule que « la FCC exigera qu'elles documentent les garanties qu'elles mettront en place sur la commercialisation ou la vente à ces fins, et nous mettons en place un gel de toutes leurs demandes d'autorisation d'équipements de télécommunications et de vidéosurveillance jusqu'à ce que ce travail soit fait ».
La parole est à la défense
Dans une déclaration à Nextgov, un porte-parole de Hikvision a déclaré que les produits vidéo de la société « ne présentent aucune menace pour la sécurité des États-Unis et il n'y a aucune justification technique ou juridique à la décision de la Federal Communications Commission de retirer les futurs produits de Hikvision du processus d'autorisation des équipements. Cette décision de la FCC ne fera rien pour protéger la sécurité nationale des États-Unis, mais fera beaucoup pour rendre plus nuisible et plus coûteux pour les petites entreprises, les autorités locales, les districts scolaires et les consommateurs individuels américains de se protéger eux-mêmes, leurs maisons, leurs entreprises et leurs biens », a ajouté le porte-parole. « Hikvision USA continuera à servir ses partenaires distributeurs et ses clients dans le respect total de toutes les lois et réglementations applicables ». Responsable mais pas coupable of course. On dirait du Georgina dans le texte.
Guerre économique et géostratégie
Les américains sont pointilleux quand il s’agit d’hégémonies (monétaire, financière, juridique extraterritoriale, technologique ou militaire). S’y ajoutent depuis quelques décennies l’information numérique et ses infrastructures, les télécommunications. C’est l’ancien Président Bush père, alors directeur de la CIA, qui en faisait publiquement les piliers non négociables du leadership US. Lorsque le Premier Ministre Villepin s’est opposé à la guerre en Irak devant l’assemblée générale de l’ONU – « ce vieux pays, la France, d’un vieux continent, l’Europe … » devant un Général Colin Powell (1937-2021) brandissant une fausse fiole d’anthrax prétexte au « casus belli » contre l’Irak, notre ami Oncle Sam n’a plus délivré de catapultes pour les avions embarqués sur le fleuron – vieillisant de notre Flotte, le Charles de Gaulle, clouant au ponton pendant 6 mois (in « La guerre fantôme », Henri Bétégeat, Chef d’Etat-Major des Armées (2002-2006)(42:49) (**) ») les vrombissants bébés Dassault à réaction. « Oui mais ce sont des amis » (in « Le Père Noël est une ordure », cité dans une conférence par un Fonctionnaire de Sécurité des Systèmes d’Information). Aujourd’hui, on peut penser que l’avance de Huawei sur la 5G et sa progression dans certaines contrées, y compris en Europe, gênent le complexe militaro-industriel US et connexes (Australie, UK, Canada, Nouvelle-Zélande (Les Five Eyes), ce qui pourrait expliquer, au moins en partie, cela.
Rattrapé par la patrouille
Les entreprises chinoises telles que Huawei ont toujours été soupçonnées de comportements « discutables » - pour le moins - et la liste est longue. On en jugera en se référant à la (longue) page Wikipedia (***) dédiée à l’industriel chinois sous les rubriques : espionnage, violation de propriété intellectuelle, vie privée et contrôle social, dumping (avec notamment une tentative à l’endroit de l’AP-HM), corruption, achat d'influence politique et « soft-power » (Huawei recrute activement, à prix d'or, d'anciens politiciens et diplomates au large carnet d'adresses, parfois aux limites des règles de déontologie, tels Jean-Louis Borloo, Jean-Marie Le Guen, Gérard Errera (ex Secrétaire d’Etat, Ambassadeur de France) ou Jacques Biot (ex directeur de Polytechnique)), Jean Rottner (ex Président de la Région Grand Est, devenu en janvier commercial dans l’immobilier), pourtant grand fervent du patriotisme économique s’est contenté d’indiquer « Nous travaillons la main dans la main, faut-il refuser de la valeur ? ». Selon Le Canard Enchaîné, « Je ne connais pas une grande boîte de lobbying ou un seul politique reconverti dans le business qui n'ait pas été approché ou contacté par Huawei ». Face à ce « lobbying forcené », un « dispositif national de veille et d'action contre l'ingérence de Huawei » (baptisé « CERBERE ») a été créé par le gouvernement français, piloté par les ministères de l’Économie et des Affaires Étrangères, avec l'appui des services de renseignement qui n’empêche pas de grands groupes français d’utiliser les technologies Huawei (Orange par exemple). Patriote ! Souverain ou souverains ? « Pecunia non olet » (vous chercherez dans le Gaffiot), campagnes de désinformation, travail des enfants, Environnement et green washing, obsolescence (en 2021, pour combler une faille de sécurité, Huawei bloque l'accès au mode DFU (Device Firmware Upgrade) de certains appareils qui implique que si le système d'exploitation devient corrompu, il n'y aucune solution de réparation des appareils, surveillance électronique massive de la population chinoise.
« Last but non Least »
Dernier épisode en date ces derniers jours, la DGSI a exfiltré Philippe Herbert (Président de la mission 5G (tiens, tiens !) au Ministère de l’économie et des Finances (ancien Ambassadeur de France, directeur de développement de clientèle chez Dassault Systèmes, Venture Capitalist chez Banexi/Kreaxi) d’une réunion destinée à présenter la stratégie industrielle de Huawei sur la 5G par son directeur général adjoint, Minggang Zhang, dans un restaurant de haut de gamme. Une dizaine de parlementaires ont partagé le point de vue gourmand chinois des télécoms. Chez Laurent, à quelques pas de l’Elysée, célèbre restaurant étoilé des Champs-Élysées, étaient présents : les députés Guy Bricout (UDI), Romain Daubié (Modem), Virginie Duby-Muller (LR), Nicolas Forissier (LR), Jean-Luc Fugit (Renaissance), Luc Geismar (Modem), Vincent Thiébaut (Horizons) et le sénateur Ludovic Haye (Agir). Alors que la société, visée en 2019 par une loi limitant son accès au marché tricolore de la 5G, est l'objet de critiques récurrentes quant à la sécurité de ses équipements, dont certains redoutent qu'ils soient utilisés à des fins d'espionnage, Philippe Herbert, « inexpérimenté » industriel international, n’y a benoitement « vu rien de mal », ou alors, « à l’insu de son plein gré ». Un perdreau de l’année en somme. Ça pédale un peu dans la choucroute tout ça. Bien sûr la DGSI a agi de son propre chef et de façon indépendante.
Au vu de l’histoire juridique et judiciaire, un tantinet oblique, qui est la sienne pour cause de suspicions interdictions et autres procès en tous genres, Huawei ne pourra pas prétexter n’avoir pas été prévenu. Le coup de pied américain n’est donc pas occulte même si la décision pour douloureuse qu’elle soit demeurera sans doute dans les annales.
A la lumière de ces péripéties, on se demande encore pourquoi tant d’organisations, notamment publiques de santé commercent encore cet acteur ? « Vous avez dit bizarre mon cher cousin, comme c’est bizarre » ? Ou alors, il faudrait considérer qu’il y a « une boulette dans le minestrone ». Pour moi c’est du chinois.
(*) https://www.fcc.gov/supplychain/coveredlist(*) https://docs.fcc.gov/public/attachments/FCC-22-84A1.pdf(**) https://www.youtube.com/watch?v=b4d9DU-ndR4(***) https://fr.wikipedia.org/wiki/Huawei
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