P EUT-ETRE n'est-il pas inutile, à la veille d'une série d'échéances électorales, que les Français se demandent pourquoi ils votent, pour qui et pour quelles raisons, et quelle est la signification d'un scrutin.
Les candidats, en effet, doutent souvent de la capacité de leurs électeurs à surmonter leurs ressentiments catégoriels et à élire non pas celui ou celle qui représentera les intérêts du plus grand nombre, mais celui ou celle qui satisfera le mieux leurs revendications spécifiques.
Commençons par mentionner le cas, très particulier, du corps médical qui, en dépit de l'influence qu'on lui attribue, se bat indistinctement depuis des décennies contre le pouvoir, quelle que soit sa tendance politique, sans obtenir de concessions. C'est de guerre lasse que, dans les syndicats médicaux hostiles à la maîtrise économique, on brandit aujourd'hui la menace d'un bulletin de vote dont le contenu serait dicté par la colère.
Des enseignants aux agriculteurs
Mais, d'une part, on n'a jamais vu un médecin élu qui se soit vraiment écarté de la ligne du parti auquel il appartenait ; et, d'autre part, si le médecin était le leader d'opinion que l'on dit, il n'en serait pas à défendre des honoraires en peau de chagrin. Il y a, depuis longtemps, un acharnement contre le corps médical dont on veut bien croire qu'il ne résulte d'aucune hostilité systématique des pouvoirs publics, mais plutôt de leur affolement, face au dérapage persistant des dépenses de santé, qui les conduit à parer au plus pressé, c'est-à-dire à serrer la vis, en limitant les revenus des soignants ou de l'industrie pharmaceutique.
Mais, s'il s'agit de peur plus que de haine, le résultat est le même : les médecins sont les boucs émissaires d'un système de toute évidence très mal géré et soumis à une terrible contradiction économique : on accepte de tout payer sans s'en donner les moyens.
On ne peut donc pas comparer l'attitude des médecins (par ailleurs trop peu nombreux) à celle des autres catégories professionnelles. Et on a eu cent fois l'occasion de constater que, lorsque les personnels hospitaliers, soit des centaines de milliers de personnes, rejoignent le camp de la protestation, les médecins se sentent un peu moins isolés, sans être nécessairement récompensés.
Il n'en va pas de même avec les fonctionnaires, armée forte de millions d'hommes et de femmes, qui parviennent souvent à faire reculer les gouvernements et éloignent avec constance des réformes jugées pourtant urgentes et indispensables ; ni avec les agriculteurs qui, s'ils ont d'excellentes raisons de s'indigner, n'hésitent pas à empoisonner la vie du pays pour faire valoir leurs doléances ; ni avec les enseignants qui ont renvoyé Claude Allègre à ses chères études ; ni même avec toute une série de professions à démographie plus réduite qui, en ajoutant à leur grève quelques blocages de routes ou de pistes, en séquestrant leurs dirigeants, en déplaçant leur conflit spécifique à un autre secteur d'activité, finissent par se faire entendre.
Ce n'est ni le droit de grève, ni le piquet de grève, ni la protestation catégorielle qui sont ici en cause, mais l'extension à l'économie nationale et à la superficie totale du territoire d'un mécontentement localisé. Si on disait à ces protestataires que la démocratie leur permet de s'exprimer, ils répondraient, non sans raison, que, dans l'ensemble des candidats, ils courent le risque de ne pas en trouver un seul qui, une fois élu, tiendrait compte de leurs doléances.
Voter aussi pour les autres
Mais vote-t-on pour soi ou vote-t-on pour la communauté ? Les municipales et les régionales ont l'avantage de tenir compte des ambitions et des besoins locaux. Les législatives et les européennes offrent l'occasion de voter pour un système de gestion, de pensée ou idéologique. Ce n'est pas la même chose.
D'autant que la contestation catégorielle est parfaitement légale, pour autant qu'elle ne s'accompagne pas de violence ou de nuisances intolérables. L'arsenal des moyens offerts à une revendication spécifique est donc imposant. En revanche, voter en fonction de ses doléances individuelles à tous les scrutins, c'est en définitive, dénaturer le sens même de la démocratie, incapable de cumuler les concessions à toutes les exigences. Heureusement, les gouvernements ne sombrent pas dans la panique chaque fois que des routiers ferment une autoroute ou que des agriculteurs envahissent le ministère de l'Environnement. Ils voient bien, dans ces manifestations, la soupape d'une colère qui, trop longtemps contenue, produirait des effets plus graves.
Il demeure que les votes nationaux doivent correspondre à leur définition, qui n'inclut pas les ressentiments catégoriels.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature