Le drame de GIAT industries, qui va licencier la moitié de son personnel, illustre les difficultés économiques et sociales que rencontre le pays. GIAT, cependant, est la propriété de l'Etat à 100 % et l'Etat ne peut pas traiter ses employés comme un « patron-voyou ». Il reclassera, paiera des indemnités, mettra une partie du personnel à la préretraite.
La détresse de GIAT illustre la crise des entreprises nationales, qui sont, pas moins que les firmes privées, victimes de la raréfaction des commandes. L'Etat entrepreneur a perdu 20 milliards d'euros en 2002 et est endetté pour 130 milliards, en dépit des dotations en capital dont il gratifie les grandes entreprises nationales. C'est donc un patron comme les autres, à la différence près qu'il compte plus de salariés que la plus grande firme privée et qu'il fait payer au contribuable ses erreurs de gestion.
En outre, voilà l'Etat contraint de faire l'inverse de ce qu'il préconise : alors qu'au nom de la réforme des retraites François Fillon dénonce comme une calamité la retraite anticipée, c'est l'Etat qui se sert de la recette des préretraites pour diminuer ses charges. Pour les patrons privés, la préretraite consiste à transférer vers la solidarité nationale les salariés qu'ils ne peuvent plus payer ; pour l'Etat, le déficit est transféré d'un compte à l'autre, ce qui ne le fait pas disparaître.
Ni ce gouvernement ni ses prédécesseurs ne sont vraiment responsables de la mauvaise conjoncture économique, ce qui n'empêche pas la gauche de s'attribuer les cinq années de croissance pendant lesquelles elle a gouverné. Il est clair toutefois qu'entre l'énoncé des principes et leur application, par exemple pour la durée des carrières, les contradictions sont flagrantes.
La France est ce pays béni des dieux où le filet social demeure sacré. Il n'empêche que l'Etat, quel que soit le gouvernement qui le représente, est un très mauvais gestionnaire. Il ne l'est pas parce qu'il ne sait pas compter, mais parce que les inévitables considérations politiques le retiennent toujours au bord de la cruauté sociale où il refuse de plonger.
Le bilan des entreprises nationales depuis 1945 n'en est pas moins catastrophique. Des sommes colossales ont été investies en pure perte dans des entreprises d'une taille énorme, de Bull au Crédit Lyonnais. On ne peut pas s'empêcher de voir que, livré à lui-même et obligé de faire des profits ou de périr, le secteur public n'aurait pas pu procéder à des appels de fonds qui auraient été bien utiles pour le vrai service public, l'éducation ou la santé. Il n'est pas sûr que, si nous avions privatisé très tôt les entreprises nationales, nous n'aurions pas dégagé, en gains et en économies sur les liquidations, des sommes suffisantes pour relancer la recherche, par exemple, ou financer le système de soins, et remplacer du même coup les emplois anéantis par l'industrie.
Vertige
Les déficits et l'endettement donnent le vertige. L'optimisme affiché par Jean-Pierre Raffarin n'est soutenu par aucun chiffre, même si le gouvernement reconnaît que le pays traverse une « crise de rupture », ce qui veut bien dire qu'en 2003 quelque chose s'est cassé dans le mécanisme économique. A cette particularité du marasme que la conjoncture et la guerre en Irak ne suffisent pas à expliquer, il faut bien trouver une autre explication, qui pourrait être la pesanteur du système social, les habitudes, l'aveuglement. Lesquels, comme au Japon d'abord, qui refuse de mettre à son passif mille milliards de dollars qui ne seront jamais payés, puis en Allemagne, qui croule sous les avantages acquis, suffisent à étouffer tout espoir de réforme.
Car la réforme, pour aboutir, a besoin de la croissance. Jamais les Français n'auront eu autant besoin de la protection sociale alors que c'est le poids même de leurs droits sociaux qui lamine les créations d'emplois.
Plus que jamais, chacun d'entre nous doit se poser quelques questions sincères sur la solidarité nationale ; plus que jamais, nous devons nous demander si cette France à deux vitesses, celle des actifs et celle des chômeurs, est acceptable. Et si les premiers ne doivent pas consentir à faire des sacrifices pour le salut des seconds.
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