La Tunisie, qui n’a eu que deux présidents en 56 ans, en a vu défiler trois en une nuit, le 14 Janvier 2011. Elle s’est trouvée livrée à elle-même, sans le surmoi autoritaire qui la contrôlait jusque-là. Les Tunisiens ont été alors traversés par différents types de sentiments : après une phase de mégalomanie (« tout est possible »), la peur, l’incertitude et la méfiance envers tout.
Les soubresauts des jugements
C’est un formidable mouvement révolutionnaire, une conscientisation collective nouvelle et une multitude de fronts de résistance qui s’ouvrent. Nous sommes portés à croire que de plus en plus de gens ont du mal à trouver leurs repères, et que l’horloge de nos jugements semble être déréglée !
Jusqu’à récemment, une jeune femme violée se voyait obligée d’épouser son violeur et de vivre avec son agresseur sa vie durant. Fort heureusement, cette loi a été abolie, grâce à la société civile, et surtout aux femmes, du pays.
Un couple se trouve arrêté en septembre 2015 : la femme violée est accusée d’atteinte aux mœurs. Ce n’est que grâce à la société civile qu’elle pourra reconquérir sa dignité, avoir gain de cause et voir ses violeurs arrêtés et condamnés. Un film projeté actuellement en France, « La belle et la meute », reprend l’histoire vécue par Myriam, la victime.
En octobre 2017, un couple « illégitime » est arrêté pour un baiser et la loi les condamne à des peines de prison. Cette affaire a mis le pays dans un désarroi inégalé jusque-là.
Au contraire, un couple tunisien, tué par un islamiste radical dans une boite de nuit, devient, lui, « coupable » de s’être rendu dans cette boite, et sa famille se doit de justifier ses croyances !
Un retentissement évident sur l’humeur
Aujourd’hui, la liberté d’expression est acquise, mais la bataille contre l’obscurantisme et la corruption ne fait que commencer. Les Tunisiens se sont réapproprié leur pays, elles et ils sont devenus acteurs et actrices du changement. Le peuple était dans la rue, tous les jours au Bardo devant l’Assemblée nationale, pour faire changer le gouvernement, et il a eu gain de cause.
Nous sommes passés d’une position passive, à celle de protagoniste de notre vie : comme un passage de l’adolescence à l’âge adulte. Les conduites addictives ont d’ailleurs augmenté de façon significative (lire ci-dessous).
Partir…
Mais la crise économique est à son apogée. Le pays est très endetté et l’incertitude guette nos jeunes, qui n’ont qu’un objectif : partir de l’autre côté de la Méditerranée, d’une manière ou d’une autre, parfois même « vers la mort ».
En 2017, 2500 ingénieurs sont partis. Dans le secteur de la médecine, l’exode vers l’Europe est continu. Même un ancien ministre de la santé publique se retrouve en France et un ancien doyen de la faculté de médecine au Canada. Pourquoi notre élite aurait-elle besoin d’un ailleurs ? Certainement par peur de l’avenir, étant donné les difficultés économiques du pays, le manque de potentiel et l’incertitude de la croissance et du développement.
(*) Chef de service, (**) Interne, (***) Service Pinel, hôpital Razi, Tunis (****) Psychiatre privé, Nabeul
(1) Faten Ellouze et al. PSN volume 15, n° 2/2017
(2) Ouanes S. 2012. Troubles psychiatriques en rapport avec les événements de la révolution tunisienne : à propos de 107 cas pris en charge aux consultations externes de l’hôpital Razi. Tunis : Faculté de Médecine de Tunis.
(3) Ouanes S et al. Ment Health. 2014 Dec;23(6):303-6. Epub 2014 Jun 24
(4) BenKheli M et al. Burns 2017;43(4):858-65
(5) www.huffpostmaghreb.com/olivier-bouvet-de-la-maisonneuve
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