Revue critique

Le rôle de l’allergie IgE-dépendante au cours de l’otite séromuqueuse

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Publié le 25/01/2019
igE otite

igE otite
Crédit photo : SPL/PHANIE

L’otite séromuqueuse (OSM) est principalement une complication des otites moyennes aiguës (OMA), surtout si ces dernières sont récidivantes. Dans les suites d’une OMA, un épanchement tubaire survient de façon quasi constante, mais il se résorbe en 2 à 4 semaines. En conséquence, il ne faut pas envisager le diagnostic d’OSM avant un délai de quatre semaines après une OMA.

Les facteurs qui favorisent l’OSM sont nombreux : antécédents d’OMA (surtout chez les enfants placés en crèche) ; obstruction tubaire par hypertrophie des végétations adénoïdes (HVA) ; irritation tubaire par un reflux gastro-œsophagien ; allergies respiratoires. Si la plupart des OSM apparaissent l’hiver (50 %), il existe un pic printanier, ce qui a suggéré l’intervention de facteurs allergiques, surtout si l’OSM persiste malgré un traitement ORL bien conduit (1) et s’il existe des antécédents personnels et familiaux d’atopie dans la famille nucléaire (mère, père, frères et sœurs)

L’étude de la littérature montre que le lien entre l’OSM et l’allergie IgE-dépendante est difficile à analyser, car l’importance de l’allergie varie énormément dans les études disponibles, souvent de qualité médiocre, basées sur des questionnaires (2). Si, dans une étude, les IgE sériques spécifiques (IgEs) dirigées contre une sélection de 26 allergènes sont plus fréquemment détectées chez les enfants atteints d’OSM que dans la population générale (3), dans d’autres études, les IgE sériques totales (4) dosées dans le sérum ou les épanchements tubaires ont des titres le plus souvent normaux (5). Pour les allergènes perannuels que sont les acariens, le pourcentage d’élévation des IgEs est le même dans le sérum des sujets atteints d’OSM que dans celui des sujets témoins (4).

Pas de corrélation avec les marqueurs d’atopie

Une étude a suivi une cohorte de 411 enfants nés de mères asthmatiques (6). Enrôlés à l’âge de 1 mois, ils ont été revus tous les 6 mois jusqu’à l’âge de 6 ans, où ils ont bénéficié d’un examen ORL pour savoir s’ils étaient atteints ou non d’une OSM. Le diagnostic d’OSM était porté sur les critères suivants : examen otoscopique montrant l’absence d’infection aiguë, de bouchon de cérumen, de perforation tympanique ; présence d’un épanchement tubaire objectivé par tympanométrie. Dans cette étude, l’utilisation de mesures objectives et la surveillance prolongée d’une cohorte constituaient des paramètres fiables.

Chez 29 des 291 enfants évalués à l’âge de 6 ans, la tympanométrie n’était pas interprétable. Chez les 262 autres, 102 étaient atteints d’OSM (38,9 %), 36 d’asthme actuel (14 %), 24 de rhinite allergique (RA) actuelle (10 %), 58 de rhinite non allergique (24 %), 33 d’une sensibilisation asymptomatique (14 %), 44 d’éosinophilie nasale (19 %), et 121 d’eczéma atopique, de la naissance jusqu’à 6 ans (48 %).

L’objectif majeur était d’étudier les liens entre OSM et RA en cours. Au sein de cette cohorte, une OSM était observée chez 39 % des individus atteints de RA. L’association entre OSM et rhinite allergique était étayée par un odds ratio (OR) de 2,29 (IC 95 % : [0,97 – 5,39] ; p = 0,058). Et, après correction des biais, l’OR ajusté (ORa) était très significatif : 3,36 (IC 95 % : [1,26 – 8,96] ; p = 0,015). En revanche, il n’existait pas de lien entre l’OSM et la rhinite non allergique, ni même avec les sensibilisations aux allergènes usuels, l’asthme ou l’eczéma. Enfin, contrairement à de nombreuses données de la littérature, il n’y avait pas de variation saisonnière de la fréquence de l’OSM dans cette étude.

Selon l’étude, le lien entre OSM et rhinite allergique ne repose pas directement sur l’existence d’une atopie. En effet, il n’existe pas de corrélation entre l’OSM et les marqueurs d’atopie que sont l’eczéma, l’asthme de l’enfant, la sensibilisation aux allergènes usuels. L’étude postule l’existence d’une inflammation de l’oreille moyenne, probablement associée à l’inflammation rhinosinusienne. Toutefois, curieusement, l’inflammation et l’éosinophilie nasales sont similaires chez les enfants avec et sans OSM, celle-ci paraissant être une réaction locale et non une affection allergique autonome.

Effet bénéfique des corticoïdes topiques intranasaux

Une autre étude, rétrospective, a porté sur 287 enfants atteints d’HVA avec OSM, avec ou sans RA, traitée ou non par les corticoïdes topiques intranasaux (CIN), comparés à un groupe témoin (7). L’incidente des RA avec OSM était de 25,66 %, non significativement inférieure à celle du groupe témoin (p > 0,05). Toutefois, l’incidence des RA avec OSM était significativement plus importante chez les patients qui n’avaient pas reçu de CIN (51,11 %) que chez les témoins qui en avaient reçu (32,26 %) (p > 0,05). Cette étude confirme donc que les CIN réduisent le risque d’OSM au cours de la RA, conformément aux recommandations d’ARIA exposées dans la revue.

Il semble bien que la présence d’une OSM au cours de la RA soit secondaire à une inflammation locorégionale, nasosinusienne, logiquement associée à une inflammation tubotympanique du fait de la proximité et des connexions entre les fosses nasales, les sinus maxillaires et la trompe d’Eustache.

À l’encontre des conclusions de quelques études, déjà anciennes, portant sur les épanchements tubotympaniques, il ne semble pas qu’une OSM puisse constituer une affection locale autonome, purement allergique, indépendante de la RA (8). L’inflammation tubotympanique pourrait également être secondaire à l’aspiration par l’orifice tubaire des médiateurs pro-inflammatoires libérés par la RA, et, dans tous les cas, les corticoïdes intranasaux peuvent réduire l’inflammation tubotympanique et l’OSM (9). Comme nous l’indiquions en introduction, l’OSM est une affection plurifactorielle (HVA, RGO, OMA et RA) dont le clinicien doit analyser les facteurs de risque : crèche collective, rhinite allergique, obstruction tubaire, pour ne citer que les principaux.

 

Pédiatre, pneumologue, allergologue

L’auteur n’a pas de conflit d'intérêts

(1) Döner F et al. The role of allergy in recurrent otitis media with effusion. J Investig Allergol Clin Immunol. 2004;14(2):154-8

(2) Hurst DS. The role of allergy in otitis media with effusion. Otolaryngol Clin North Am. 2011;44(3):637-54

(3) Corey JP et al. The role of IgE-mediated hypersensitivity in otitis media with effusion. Am J Otolaryngol. 1994;15(2):138-44

(4) Coulson CJ et al.Total serum IgE and IgE antibodies specific to house dust mite found in two aged-matched cohorts of children with and without otitis media with effusion. Clin Otolaryngol. 2006;31(2):130-3

(5) Boedts D, De Groote G. L’otite séromuqueuse et l’allergie atopique. Am Oto Laryngol (Paris). 1986; 103(6):421-5

(6) Kreiner-M ller E et al. Allergic rhinitis is associated with otitis media with effusion: a birth cohort study. Clin Exp Allergy. 2012;42(11):1615-20

(7) Ni K, Li X. Correlation analysis between the otitis media with effusion and allergic rhinitis in children with adenoidal hypertrophy. Li Chung Er Bi Yan Hou Tou Jing Wai Ke Za Zhi. 2012;26(19): 884-6

(8) Hurst DS, Venge P. Evidence of eosinophil, neutrophil, and mast-cell mediators in the effusion of OME patients with and without atopy. Allergy. 2000;55(5):435-41

(9) Lack G et al. The link between otitis media with effusion and allergy: a potential role for intranasal corticosteroids. Pediatr Allergy Immunol. 2011;22(3):258-66

 

Pr Guy Dutau

Source : lequotidiendumedecin.fr