Journée nationale des blessés de l'armée de terre

Les esprits, eux aussi, sont victimes de la guerre

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Publié le 22/06/2017
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Crédit photo : AFP

Si les blessures physiques sont les conséquences les plus visibles des opérations dans lesquelles est engagée l'armée de terre française, les blessures psychiques occupent une part non négligeable des dossiers gérés par le service de santé des armées (SSA), qui organise vendredi 23 juin sa première journée nationale des blessés de l'armée de terre.

D'où vient la blessure psychique ? Selon le médecin chef Laurent Martinez, coordonnateur national du service médicopsychologique des armées, « il y a 3 cas de figure principaux : la confrontation brutale avec sa propre mort, la confrontation brutale avec la mort de l'alter ego, qu'il s'agisse d'un camarade ou d'un ennemi, ou la vision de spectacles horribles, à l'image des charniers du Rwanda ». Depuis 2010, 310 à 320 militaires français sont concernés chaque année par les troubles psychiques post-traumatiques.

Dans un rapport remis en juin 2016 à l'Assemblée Nationale, le député Olivier Audibert-Troin constate une « absence de données chiffrées exploitables concernant les blessés ». Il a toutefois obtenu un chiffrage de la cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre (CABAT) qui traitait les dossiers de 574 blessés début juin 2016, placés en congé maladie longue durée. En 2013, la CABAT a suivi 628 nouveaux dossiers, dont 159 pour blessures psychiques. Depuis fin décembre 2013, la CABAT prend en charge 1 530 blessés psychiques.

Une longue période de latence

Les patients ne sont pas toujours faciles à repérer, à cause d'un temps de latence, pratiquement asymptomatique, qui peut durer plusieurs jours à plusieurs années. Le SSA a mis en place une procédure de repérage qui commence sur le terrain des opérations extérieures (OPEX), où les médecins et les infirmiers pratiquent le « defusing », un entretien d'évaluation au retour d'un événement potentiellement traumatique.

Interviennent ensuite les spécialistes du soin psychique. Un psychiatre est ainsi déployé dans l'opération Barkhane qui s'étend sur l'ensemble du Sahel. Si le cas est particulièrement grave, le militaire peut bénéficier d’une évacuation stratégique vers l’hôpital Percy. Tout militaire qui rentre d’OPEX répond 3 mois après son retour en France à un questionnaire et bénéficie d’un entretien médical. Le SSA est en train de hausser le nombre de psychologues. Il y en a actuellement 16, et « on vise la vingtaine », précise le Dr Laurent Martinez.

Des symptômes variés

Les soldats atteints de troubles psycho traumatiques sont en état de stress dépassé. Les symptômes sont la paralysie psychique, la sidération, l'agitation, la réaction de fuite et la dissociation péri traumatique, un phénomène de dépersonnalisation du sujet. « C’est un symptôme intéressant, parfois difficile à détecter, car on a l’impression que la personne n’a pas été touchée par l’événement », explique le Dr Laurent Martinez.

Un autre syndrome cardinal est la répétition traumatique qui force le malade à revivre l’évènement. Les autres signes cliniques sont des réactions de sursaut, un état d’hypervigilance, des réactions d’évitement et des troubles anxieux. En outre, 25 % les malades souffrent d’un syndrome dépressif avéré. Maladies de peau, hypertension, diabète de type 2 ou problèmes thyroïdiens peuvent aussi découler de la maladie traumatique, sans oublier les comorbidités que sont les addictions.

20 % de troubles chroniques

Depuis un décret de 1992, les blessures psychiques disposent du même statut que les blessures physiques, ce qui permet de bénéficier de la même reconnaissance et de mobiliser les mêmes ressources pour la réinsertion.

Parmi les militaires souffrant de troubles psycho traumatiques, environ 20 % vont chroniciser leur maladie sous la forme d'une pathologie psychotraumatique, et pourront bénéficier d’un congé longue maladie et d'une prise en charge par l'une des cellules d'aides de l'armée. « La majorité des blessés physiques veulent rester dans l’institution, alors que la majorité des blessés psychiques veulent la quitter », note le Dr Laurent Martinez.

Depuis le lancement de l'opération Sentinelle en janvier 2015, les militaires français sont de plus en plus sollicités. Selon un observatoire piloté par les psychologues du SSA, il n'y aurait pas eu d'augmentation des consultations chez les psychologues des armées. « La question de la fatigue opérationnelle reste préoccupante, de même que l’accumulation des missions de ces hommes qui à peine rentrés du Mali partent faire des missions de patrouille pour Sentinelle », estime le Dr Martinez.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9591