Comment allez-vous, docteur ?

Les médecins malades de présentéisme

Publié le 02/11/2015
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« Pourquoi travaillez-vous lorsque vous êtes malades ? » C’est la question qu’ont posée Julia Szymczak et son équipe à 280 médecins et 256 soignants (infirmières, puéricultrices, infirmières anesthésistes, assistants de médecins…) employés du plus grand hôpital pédiatrique de Philadelphie durant l’hiver 2014 (1).

Diarrhées, fièvre, infection respiratoire

La très grande majorité d’entre eux (95,3 %) a déclaré qu’ils savaient parfaitement que travailler en étant malade peut exposer les patients à des risques infectieux.

Pour autant, 446 (83,1 %) reconnaissent avoir travaillé au moins une fois dans l’année écoulée alors que leur état de santé ne leur permettait pas. Plus grave encore, 50 médecins ou soignants ont travaillé infectés 5 fois au cours des 12 derniers mois.

Parmi les pathologies rapportées par les personnes interrogées, on note une surreprésentation de maladies infectieuses potentiellement épidémiques dans un contexte de service d’hospitalisation pédiatrique : infections respiratoires (55,6 %), diarrhées (30 %) ou fièvre (16 %).

Les auteurs ont analysé les réponses en fonction de poste de travail. Et ce sont les médecins qui s’arrêtaient le moins de travailler que ce soit en cas de diarrhées (38,9 % travaillaient contre 19,9 % des soignants), de fièvre (21,8 % contre 9,8 %) ou de symptômes respiratoires (60 % contre50,8 %).

Travailler tant que l’on n’est pas mourant

Quelles raisons étaient mises en avant pour expliquer ce présentéisme ?

Les collègues qu’on ne peut pas laisser tomber avant tout (98,7 %), l’équipe plus globalement pour 94,9 % des personnes interrogées. Les patients viennent ensuite (92,5 % des répondants). Le fait d’être mal vu par les collègues n’est cité que pour 64 % des soignants et des médecins. Et la continuité des soins n’est mise en avant que dans 63,8 % des cas.

Un espace libre de discussion était proposé à toutes les personnes interrogées afin d’aborder de façon plus précise le thème de la maladie chez les soignants.

Plus de deux personnes sur trois soulignaient qu’elles choisissaient de ne pas s’arrêter de travailler car elles savaient qu’elles ne seraient pas remplacées. D’autres expliquaient qu’à l’hôpital, « travailler tant que l’on est pas mourant » est la norme culturelle (61,1 %). Enfin, plus de la moitié des répondants soulignent l’ambiguïté entretenue dans le milieu hospitalier sur la notion d’être « trop malade pour travailler ».

10jours de travail en surprésentéisme par an

Les médecins sont-ils les seuls à être les victimes du surprésentéisme ?

Non, si l’on en croit le sociologue Denis Monneuse qui a publié en 2013 un livre intitulé : « Le suprésentéisme, travailler malgré la maladie » (2). Dans ce travail, il insiste sur l’importance du présentéisme en dépit de la maladie chez les soignants et tout particulièrement les médecins.

En France, en moyenne en 2010, selon une enquête de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (3), 48 à 55 % des salariés avaient travaillé alors qu’ils étaient malades. Ce chiffre rapporté à la population totale est de l’ordre de 10 jours de travail par an et par personne, soit sensiblement la même valeur que celle des jours d’absence.

Médecin, une profession à risque de surprésentéisme

Pourquoi les médecins sont-ils surreprésentés ?

Parce que leur profil s’inscrit de plusieurs façons dans les personnalités les plus à risque de surprésentéisme : lorsqu’ils sont salariés, ils occupent des postes à responsabilités donc, comme les dirigeants d’entreprises, ils estiment qu’ils doivent se montrer exemplaires ; ils sont contraints par le système lui-même en raison de la pression sociale reportée sur les confrères en cas d’absentéisme ; ils sont solidaires et ne veulent pas que leur absence ait des répercussions sur les collègues ; ils sont parfois relativement « précaires » du fait de leur statut et ne veulent pas perdre leur salaire (c’est le cas de certains statuts de praticiens hospitaliers contractuels ou de médecins dans des services à gardes ou astreintes). Le libéral, lui, a légitimement peur de perdre une partie de son chiffre d’affaires ou de sa clientèle.

Parfois le présentéisme est une forme d’entrée dans le burn out, car ne pas s’arrêter de travailler lorsque la santé se dégrade contribue à encore aggraver l’état de santé. Dans ce cas, le médecin et plus globalement le système de soins en sortiront perdants.

Il convient aussi de distinguer le médecin atteint de pathologie chronique pour qui le travail maintient du lien social.

Enfin, il ne faut pas oublier que certains médecins sont passionnés par leur métier et que pour eux travailler, même en étant malade, s’inscrit dans l’estime de soi.

1) Szymczak J, Smathers S, Hoegg C et coll. Reasons Why Physicians and Advanced Practice Clinicians Work While Sick. A Mixed-Methods Analysis. JAMA Pediatr. 2015;169(9):815-821. doi:10.1001/jamapediatrics.2015.0684.

2) Denis Monneuse, « Le suprésentéisme, travailler malgré la maladie », Ed. de Boeck, 2013

3) Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (EUROFOUND). http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?

Dr I. C.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9446