SEIZE SUICIDES de prisonniers du 1er janvier au 9 février dernier. Il y en avait eu 115 en 2008, 96 en 2007, 93 en 2006, 122 en 2005, 115 en 2004... et 39 en 1980. Dans ce contexte, le Dr Louis Albrand, expert en gériatrie et en médecine interne près la Cour d’appel de Paris, chargé par la Chancellerie d’une étude sur la prévention des suicides en milieu carcéral, a remis son rapport à Rachida Dati la semaine dernière.
C’est au prix de nouvelles relations entre les détenus et les personnels pénitentiaires, les soignants et les surveillants que les choses pourraient évoluer dans le bon sens. « Il faut humaniser la prison », explique en substance au « Quotidien » le Dr Albrand. La tâche semble relever du vu pieu, tant les uns et les autres vivent sur leurs gardes. Dans les établissements pénitentiaires, méfiance est mère de sûreté. La prudence a un coût : la communication passe mal, d’autant que 40 % des détenus et condamnés sont analphabètes ou ne comprennent pas le français, et se borne au strict minimum.
« Il faut améliorer la formation » des intervenants pour vaincre le choc de l’incarcération, l’isolement et la souffrance, poursuit le spécialiste. Il y a en prison, dit-il, « 15 000 psychotiques graves », le quart des détenus, et de « 30 à 40 % de déprimés » (de 18 000 à 27 000 personnes). « Il faut renforcer la prise en charge psychiatrique et, lorsqu’il existe un danger, faciliter le placement d’office ».
Parmi les autres mesures qu’il recommande, « d’application immédiate » (voir encadré) , le Dr Albrand insiste sur « la nécessaire réduction de la durée des passages en quartier disciplinaire, où l’on se suicide 7 fois plus qu’en cellule, de 45 à 20 jours (moyenne européenne) », et sur la première semaine de détention « avec téléphone, parloir autorisé et pécule aux plus démunis pour cantiner ». Actuellement, les trois semaines suivant la mise sous écrouse font dans la claustration.
L’ancien conseiller de Simone Veil (Santé) et d’Albin Chalandon (Justice) veut y croire, tout en rapportant les propos de Robert Badinter qu’il a auditionné. « En 1872, sous la présidence d’Adolphe Thiers, 2 députés, Tocqueville et le baron d’Haussonville, médecin, réalisèrent une mission sur le suicide des prisonniers, qui déboucha en 1875 sur une loi d’avant-garde (diagnostic psychologique des entrants, maintien des liens familiaux, humanisation des conditions d’emprisonnement, réinsertion)... restée lettre morte ».
Autopsie psychologique.
Peut-être y verra-t-on plus clair quand chaque suicidé fera l’objet d’une « autopsie psychologique ».« Ce qui, bien sûr, nécessitera des crédits », comme l’ensemble du dispositif Albrand, non évalué, fait remarquer au « Quotidien » le Dr Louis Jehel, chef du service de suicidologie et de psychotraumatologie de l’hôpital Tenon (unité INSERM 669)***, pressenti pour cet examen psycho-légal. Au préalable, le psychiatre de l’AP-HP analysera rétrospectivement les 115 autolyses survenues en 2008, à la condition là encore qu’un budget lui soit alloué.
Et pourquoi ne pas imaginer un autre regard de la société sur la prison, par trop perçue comme « la résidence secondaire des banlieues » ? On a bien changé « l’image » du handicap. À moins de s’en remettre à la réinsertion : « L’espoir d’une vie nouvelle à l’extérieur sera le meilleur antidote au désespoir suicidaire », a compris Louis Albrand. Que d’utopies en temps de crise, commenteront d’aucuns. En revanche, il serait un peu court de se contenter de l’ouverture d’une prison tous les trois mois jusqu’en 2012 (13 220 places) et de la généralisation des cellules individuelles annoncées par l’administration pénitentiaire.
Louis Albrand se déclare prêt à assurer le suivi de ses recommandations au cabinet du prochain Garde des Sceaux, voire d’un secrétaire d’État à la Condition pénitentiaire, qu’il s’agisse de Xavier Darcos ou/et de Patrick Ouart, conseiller pour la justice de Nicolas Sarkozy, annoncés comme ministrables.
› PHILIPPE ROY
* Le Dr Louis Jehel a siégé au sein de la commission Albrand aux côtés, notamment, des Drs Catherine Paulet (Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire), Pierre Horrach, SMPR de Metz, et François Caroli, et du Pr Frédéric Rouillon (Sainte-Anne, Paris), directeur du Groupe d’intérêt scientifique en recherche clinique, épidémiologique et sociale en psychiatrie.
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