Une nouvelle technologie plonge juristes et avocats dans le pétrin

L'impression 3D et le casse-tête de la responsabilité juridique

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Publié le 25/02/2016
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Prothèse de jambe, boîte crânienne sur mesure, fabrication d'une oreille artificielle ou reconstruction d'une mâchoire après un cancer… L'impression 3D est en plein essor dans le monde de la santé (voir repères). Cette technologie révolutionne les soins et cause aussi de sérieux maux de tête aux juristes sur la question de la responsabilité.

En médecine, l'impression 3D consiste à empiler des couches de matériaux (plastique, titane, céramique, collagène, cellules-souches) pour créer un dispositif permettant de venir en aide par la reconstruction aux patients victimes d'une pathologie agressive ou d'un accident.

Lors d'un récent colloque organisé à Paris par l'Institut Droit et Santé, plusieurs spécialistes ont tenté de démêler les nombreux fils juridiques de l'impression 3D. L'enjeu est de taille : la responsabilité des professionnels est amenée à changer selon le régime juridique de l'objet, et il n'y a pour l'instant... aucun précédent.  

Cadre réglementaire ubuesque

Aux yeux de la loi, la frontière entre toutes les productions médicales, en 3D ou non, est extrêmement poreuse.

En santé, un objet 3D relève par essence du dispositif médical. Il doit donc faire l'objet d'un marquage CE et d'une certification. Premier hiatus, un établissement qui concocte un produit en 3D « maison » sans le mettre sur le marché du dispositif médical n'a pourtant pas le besoin d'appliquer un marquage CE.

Ensuite, la nature de l'objet 3D peut modifier son environnement juridique. Ainsi, la recomposition de tissus humains à partir de cellules-souches peut faire tomber l'objet 3D dans le champ du médicament de thérapie innovante… Mais pas que. 

Le régime du don de cellules humaines peut aussi s'appliquer si le produit en 3D est issu d'un échantillon de cellule par prélèvement.

La « circulation » d'éléments du corps humain pose un autre casse-tête aux juristes : une cellule-souche fait-elle partie du patrimoine d'une personne ? À ce titre, est-ce un « bien » plutôt qu'un dispositif médical ? Pour l'instant, personne n'a la réponse.

Anticiper les scandales sanitaires

La multiplicité des acteurs complique la donne. A priori, le producteur d'un objet défectueux est le premier responsable. Mais entre le concepteur du logiciel de 3D, le créateur du fichier d'impression, le fournisseur de la matière médicale, l'utilisateur de l'objet et l'imprimeur, où se cache-t-il ? 

« Un praticien qui crée une prothèse en 3D sous la responsabilité de son établissement peut être considéré comme le fabricant du dispositif médical », précise Me Jean-Marie Job, avocat spécialiste du sujet. Pour autant, sa responsabilité ne pourra être engagée que s'il y a faute. Sans quoi, la loi se reportera sur un défaut de production… Qui relève d'un ultime régime, celui des produits de santé.

« On nage en pleine incertitude sur l'application du régime de responsabilité, admet Caroline Le Goffic, maître de conférences en droit privé. Il faudra pourtant s'interroger sur les sanctions pour préjudice corporel et sur les répercussions économiques pour le patient, le professionnel de santé et l'établissement. » Si possible avant le premier scandale sanitaire lié à la 3D.

 

Anne Bayle-Iniguez

Source : Le Quotidien du médecin: 9474