LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Pourquoi est-il important de s’intéresser aux Centres de ressources biologiques (CRB), comme la fait l'Académie de Médecine dnas son rapport ?
PR BRUNO CLÉMENT : Les CRB sont la clé de voûte de la recherche médicale. Ce sont des banques d’échantillons humains où sont conservés des spécimens congelés (- 20 °C, - 80 °C, azote liquide) de sang, de fragments de tissu, de cellules, etc. Les échantillons biologiques sont en effet essentiels pour valider des hypothèses de recherche, mais aussi dégager de nouvelles hypothèses d’étude. Avec le développement des technologies à très haut débit, un simple échantillon peut permettre de produire des milliers d’informations.
Pendant longtemps, ces banques d’échantillons ont été constituées dans de mauvaises conditions : les activités de recueil, de mise en collection, de conservation et de diffusion des ressources biologiques n’étaient ni encadrées, ni structurées. Le premier cadre est apparu en 1999, à l’issue d’un travail de l’OCDE. L’institution s’est appuyée sur le travail de l’INSERM pour dessiner les lignes directrices des CRB.
Aujourd’hui, on compte en France 91 CRB recensés dans les divers établissements de santé et de recherche. Seuls 54 sont reconnus par le ministère de la Santé. Ils collectent des échantillons biologiques issus des activités de soin, d’essais cliniques ou de d’examens post-mortem. Ces établissements sont variés en ce qui concerne leur gouvernance, leur périmètre d’intervention, les volumes d’échantillons collectés et les institutions de tutelle.
Quinze ans après leur création, où en sont ces structures ?
Nous n’en sommes plus au congélateur posté dans un couloir. Ce qui a été fait en 15 ans est formidable. Pour autant, tout n’est pas parfait et le rapport de l’Académie a pour but de dire ce qui pourrait être amélioré. Par exemple, la mauvaise qualité d’un échantillon ou un mauvais étiquetage peut entraîner quantité d’erreurs. Il s’agit là d’un enjeu majeur. Il y a ainsi une forte nécessité d’infrastructures très performantes, mais aussi d’évaluation de l’impact sur la recherche. Le premier constat est celui d’un succès, mais du fait de l’enthousiasme suscité, on compte désormais un grand nombre de CRB, presqu’autant que de CHU et de Centre de Lutte contre le Cancer. Cette multiplicité pose la question de la pérennité des structures.
En quoi la pérennité des CRB est-elle menacée ?
Le cadre réglementaire, d’abord, est à revoir. La loi n’est pas adaptée au maintien au long cours des échantillons pour des usages multiples. Un mode de consentement des patients sur le long terme est nécessaire. Le cas de la cohorte CONSTANCES, qui collecte et conserve des échantillons biologiques issus de la population générale, est en ce sens exemplaire. Une relation continue est maintenue entre le CRB et les participants à cette cohorte. Alors que le prélèvement est effectué sans visibilité sur son usage à des fins de recherche qui peut intervenir plusieurs années après, la relation continue permet d’actualiser le consentement et facilite les utilisations d’échantillons non définies lors du prélèvement.
Concernant la gouvernance, il manque une stratégie coordonnée au niveau national. Certains CRB accumulent des échantillons et se retrouvent en excès d’offre par rapport à la demande. D’autres ne produisent pas des données de qualité suffisamment satisfaisante. Si les circuits de collecte se sont améliorés et si le programme « Health Data Hub » devrait faciliter l’accès aux données, il manque encore un pilotage national. L’INCa a mis en œuvre une structuration par réseau thématique qui fonctionne bien. Il s’agit là d’une piste intéressante, notamment dans une logique de guichet unique.
Enfin, notre rapport évoque le modèle économique des CRB, sachant que ces structures coûtent cher, de 500 000 euros à 1 million d’euros par an par CRB. Un modèle de facturation du coût complet d’un échantillon à un chercheur est intenable. Par exemple, un fragment tumoral pourrait être facturé entre 1 000 et 1 500 euros : ce n’est tout simplement pas applicable. D’ailleurs, aucune biobanque ne le fait. La France a injecté beaucoup d’argent dans les CRB. Mais un système non coordonné de financement a enclin les CRB à faire du volume pour y accéder, c’est-à-dire à collecter de grandes quantités d’échantillons sans anticiper leur usage. Un cercle vicieux s’est installé. L’argent est mal réparti, car stocker de grands volumes d’échantillons pour être financé n’implique pas qu’ils seront utilisés. Il faut mesurer les retours sur ces investissements, en termes de publications et de brevets notamment.
Ces éléments ont-ils nui à l’avance de la France en matière de recherche clinique ?
Nous n’avons pas encore perdu notre avance. La France a été le premier pays à mettre en œuvre une norme de certification en 2008 : la norme NF S96-900. Celle-ci est devenue une norme internationale ISO il y a six mois. Initier cette norme ISO nous a donné une légitimité très forte et nous disposons encore d’une bonne visibilité internationale. Mais les choses évoluent rapidement. Un effort de mutualisation doit être réalisé.
Il faut aussi des experts capables d’évaluer les besoins, de structurer l’offre et ne pas seulement proposer de nouveaux congélateurs. On ne peut découpler une bonne gestion de collection d’une expertise. Il y a aussi la nécessité d’une volonté politique pour réunir l’ensemble des acteurs concernés, et notamment les fournisseurs d’échantillons que sont les patients et les établissements de soin et les utilisateurs que sont les chercheurs et les organismes de recherche.
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