Prostitution : la loi de pénalisation des «clients» doit s'appliquer totalement

Publié le 31/05/2018
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Le 12 avril paraissait sur « lequotidiendumedecin.fr » un article (« Loi sur la prostitution 2 ans après : MDM dénonce les effets sanitaires délétères ») sur le bilan de la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Il faisait état d’une étude « qualitative »* faite par deux chercheurs auprès de « travailleurs-euses du sexe ». Cette étude, qui se veut « qualitative », affirme des conclusions qui ne sauraient être, au mieux, que le reflet du ressenti des personnes interrogées (…)Elle ne saurait être un bilan réaliste de la loi du 13 avril 2016.

Les professionnels du Nid ont une autre perception de la situation et souhaitent que son application continue de se décliner dans tous ses aspects sur l’ensemble du territoire français. Cette loi est une loi équilibrée : elle donne des droits aux personnes en situation de prostitution, les aides à sortir de la prostitution, prévoit une prévention et responsabilise les acheteurs d’acte sexuel.

Ces femmes pour lesquelles le gynécologue Éric Darniche témoigne (rapport de l’IGAS : « Prostitution, les enjeux sanitaires et sociaux. ») ont été victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. Tout le monde est d’accord sur la traite, me dit-on. « Elle doit disparaître et une législation existe pour la combattre ». Certes. Sauf que l’on n’évoque jamais les acheteurs d’acte sexuel qui viennent torturer ces femmes. Sauf que les acheteurs d’actes sexuels ne s’intéressent pas un instant à la vie ou souffrance de la personne humaine qu’ils maltraitent. Ils lui ont donné un billet qui les dédouane, pensent-ils, de toute attention qui serait superflue. L’argent donne droit à l’expression de tous leurs fantasmes. « Je viens seulement pour consommer » explique l’un d’eux au cours d’un stage de sensibilisation sur la réalité de la prostitution. Savoir si une personne en situation de prostitution est sous la coupe d’un réseau, un proxénète ou non n’est pas leur problème.

Le socle de la traite des êtres humains

En conséquence de quoi, les demandes des acheteurs d’actes sexuels constituent le socle sur lequel la prostitution et la traite des êtres humains sont bâties. En conséquence de quoi, les acheteurs d’actes sexuels sont auteurs de violences et complices de la traite.

Des personnes vulnérabilisées par des violences antérieures et poussées par la précarité peuvent se retrouver en situation de prostitution. Le regard des acheteurs d’actes sexuels et leur façon d’être leur font tout de suite comprendre qu’elles ne sont plus personnes humaines mais simples objets de plaisir. Les passes sont violence, violences aggravées par d’autres silences, celles évoquées plus haut. Traite ou pas traite, les personnes en situation de prostitution sont des proies qui subissent un déferlement de violence (étude pro santé 2011).

Ce n’est pas puritanisme de se questionner sur la sexualité des acheteurs d’acte sexuel, quasiment toujours des hommes. Des recherches devraient être faites sur une sexualité impliquant négation du partenaire en tant qu’être humain et violence à son encontre.

Mais en attendant, il ne conviendrait pas d’appliquer la loi et surtout de pénaliser les « clients », parce que cela détériorerait les relations que les « travailleurs.euses du sexe » ont avec eux.

A-t-on l’assurance que ces relations ont été bonnes avant la loi ? Comment aurait-elle pu l’être, comment peuvent-elles l’être quand la passe est totale négation de l’autre ? Quand dix, vingt, passes où davantage se succèdent par jour et qu’il faut subir au cours de celles-ci les fantaisies sexuelles de toutes sortes d’hommes, le regard indifférent, méprisant, mauvais, moqueur, leurs insultes, leurs coups, leur crasse. Et comme elles ne peuvent pas l’être, doit-on ne rien dire, ne rien faire, autoriser les violences de tous ordres, les menaces, les injures, les frappes, les violes, les meurtres ?

Stress post traumatique

Six fois plus de viols dans cette population qui, avec les autres violences sexistes et sexuelles, font le lit du stress post traumatique – au même titre qu’un traumatisme de guerre — et de ses propres conséquences qui, comme on le sait aujourd’hui, vont au-delà de l’impact neurologique pour diffuser leurs effets dans tout l’organisme, système cardiologique endocrinologique, immunitaire…

Toutes ces violences vécues multiplient par 5 ou 6 les risques d’être victimisée, c’est-à-dire d’être à nouveau la cible de nouvelles violences, par 5 ou 6 les risques de dépression, par 19 les tentatives de suicide.

L’Organisation mondiale de la santé dénonce aussi les faits de violences et de coercition sexuelle qui sont à l’origine de conséquences multiples et graves sur la santé des femmes qui les subissent.

Une « augmentation massive des violences multiformes » serait apparue depuis le vote de la loi du 13 avril 2016… Y a-t-il eu des recensements des violences subies par les personnes en situation de prostitution au cours des deux années passées qui permettrait d’être affirmatif ?

Et si une telle « augmentation massive » existait, ne faudrait-il pas plutôt poursuivre davantage les auteurs de ces violences plutôt que de les absoudre et de les encourager !

Favoriser les parcours de sortie

La prévention des risques infectieux est une part importante de la prise en charge des personnes prostituées. Mais elle ne peut être la réponse unique à des agressions graves, multiples et diversifiées de leur santé. La situation sanitaire et sociale des personnes prostituées ne peut se résumer aux maladies sexuellement transmissibles, comme le soulignait l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2012.

Une intéressante étude (publiée dans World Development en 2013) analysant la situation de 150 pays montre que la législation de la prostitution favorise le trafic d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. Ses résultats n’incitent pas vraiment à légaliser l’acte d’achat d’actes sexuels. L’évolution de la situation en Allemagne et aux Pays-Bas non plus.

La loi du 13 avril 2016 renforce l’accompagnement des personnes prostituées. La délivrance d’un parcours de sortie apporte reconnaissance, espoir et encouragements aux personnes bénéficiaires. Deux ans après la promulgation de la loi, son application est partielle et nous souhaitons qu’elle soit totale et sur tout le territoire français. Notre responsabilité de médecins n’est pas d’œuvrer pour l’aménagement des violences mais de contribuer à les faire disparaître.

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*Étude « Que pensent les travailleurs du sexe de la loi prostitution » Hélène Le Bail, Calogero Giametta, mise en ligne par Médecins du Monde.

Dr Marie Hélène Franjou Présidente de l’amicale du Nid.

Source : Le Quotidien du médecin: 9667