Schizophrénie : les signes négatifs conditionnent la vie sociale

Publié le 05/02/2001
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P ENDANT longtemps, la schizophrénie a été associée à ses symptômes positifs comme le délire ou l'agressivité. Les symptômes déficitaires, fréquemment associés à des troubles cognitifs, constituent pourtant l'autre pendant de la maladie, qui conditionne le degré d'invalidité du schizophrène et ses possibilités de « réinsertion » sociale. L'émoussement affectif, l'alogie (conduite irrationnelle), l'avolition, l'apathie, l'anhédonie, le retrait social, les troubles de l'attention, sont des symptômes fréquents qui posent un double problème diagnostique et thérapeutique. Difficile, en effet, de distinguer ce qui revient à la maladie elle-même des effets indésirables des neuroleptiques, d'un état dépressif ou des conséquences de l'institutionnalisation. Jusqu'à l'arrivée des nouveaux neuroleptiques (antipsychotiques), leur prise en charge thérapeutique était quasi inexistante du fait d'une mauvaise réponse aux neuroleptiques traditionnels. L'arrivée des antipsychotiques dont les effets indésirables sont moins marqués, et qui agissent sur les aspects déficitaires de la schizophrénie, laisse, pour la première fois, entrevoir une possibilité de vie sociale.

Une sélectivité pour les récepteurs D2-D3

Parmi les médicaments capables d'agir sur les tableaux déficitaires, l'amisulpride (Solian) a la particularité d'avoir une affinité sélective pour les sous-récepteurs dopaminergiques D2, D3, pré- et postsynaptiques, sans aucun effet sur les autres récepteurs. Les études cliniques ont montré qu'à faible dose (de 50 mg à 100 mg/j), l'amisulpride améliore les symptômes négatifs, alors qu'aux doses usuelles (de 400 mg à 800 mg/j), il agit classiquement sur les symptômes productifs. Du fait de la sélectivité D2-D3, les effets extrapyramidaux induits par le traitement sont peu marqués. Des essais contrôlés avec différents tableaux cliniques de la maladie (selon les critères du DSM-III) ont mis en évidence une amélioration significative des signes déficitaires, mesurés sur l'échelle de SANS (Scale for the Assessment of Negative Symptoms). A six semaines, les patients traités par 50 mg/j ou 100 mg/j d'amisulpride obtenaient une amélioration de 32 % ( vs 8 %) de leur score, dont le bénéfice le plus marqué concernait l'avolition-apathie (32 % vs 2 %) et les troubles de l'attention (90 % vs 18 %).
L'amélioration des symptômes positifs ou de la composante dépressive n'est pas suffisante pour expliquer de tels résultats avec les doses utilisées. En ce qui concerne les effets de l'amisulpride sur la cognition, ils ont été évalués chez le volontaire sain mais ne sont pas encore connus pour le patient schizophrène. Dans les essais avec des volontaires sains, l'amisulpride a amélioré les fonctions cognitives : mémoire explicite, mémoire procédurale, attention/concentration, avec une tolérance extrapyramidale comparable aux sujets du groupe placebo. Pour le Pr Hervé Allain, les effets « cognitifs » des antipsychotiques sont liés à leur liaison avec les différents récepteurs cérébraux (bindings). Or, les profils de liaisons sont très hétérogènes, d'où des différences d'action même au sein d'une même classe. Les effets « cognitifs » propres à chaque nouvel antipsychotique vont permettre de rapprocher une anomalie fonctionnelle d'une anomalie cognitive.

Venise. D'après les communications des Prs Siegfried Peretti (Reims) et Hervé Allain (Rennes) lors d' un symposium Sanofi-Synthélabo.

En finir avec le mot « hypothèse »

« Voilà trente ans que l'on fait l'hypothèse du rôle clé de la dopamine (DA) dans la schizophrénie. Va-t-on enfin se passer du mot hypothèse ?», a suggéré le Pr Hervé Allain, neuro-pharmacologue. Cette hypothèse est fondée sur le fait que la seule propriété pharmacologique commune des antipsychotiques est le blocage des sous-récepteurs D2 de la DA et que toutes les substances qui activent la dopamine peuvent induire un état de « psychose » avec hallucinations. Les avancées de la pharmacologie, de la neuro-imagerie et de la recherche clinique sont largement en faveur du rôle de la DA dans la schizophrénie. « Il existe une anomalie dans les circuits dopaminergiques centraux dits "systèmes modulateurs diffus" qui régulent la vigilance, la motivation, la mémoire et, plus globalement, toute l'activation cérébrale.
Le dysfonctionnement se situe probablement au niveau présynaptique comme le montre l'accumulation de DA, une hypersensibilité aux stimuli et des relargages aberrants du neurotransmetteur chez les malades. Les nouvelles techniques d'imagerie montrent en effet que les tests de relargage provoqués de DA (avec des amphétaminiques) sont très augmentés chez le schizophrène. Lors des poussées de la maladie, on retrouve une accumulation présynaptique de DA et après déplétion expérimentale, le couplage de la DA aux récepteurs striataux D2 est deux fois plus important chez les malades que chez des témoins. Enfin, le degré d'occupation des récepteurs D2 à six semaines est prédictif de la réponse clinique aux neuroleptiques »
, explique le spécialiste.

Dr Catherine DESMOULINS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6850