L A parution orchestrée (un tir goupé : tous les quotidiens ont annoncé l'événement le même jour, mardi) d'un livre intitulé « IBM et l'holocauste » de l'Américain Edwin Black montre certes que, pour le big business, Hitler était un client sans odeur, mais n'en indique pas moins que le « devoir de mémoire » commence à dériver.
Les sympathies que le nazisme a inspirées en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis sont connues et documentées. Henry Ford et le duc de Windsor étaient, on le sait, des admirateurs de l'hitlérisme. Quant au monde des affaires anglo-américain, il semble bien que l'Allemagne a été à ses yeux un excellent marché jusqu'au moment où il a participé à l'effort de guerre contre le nazisme.
Bien que le directeur du musée d'Auschwitz ait démenti qu'IBM ait jamais contribué au fichage des juifs dans les camps de la mort, le livre serait convaincant à propos du rôle de big blue dans la recherche des Juifs que les Allemands voulaient déporter. Des associations juives n'ont d'ailleurs pas attendu la parution du livre de M. Black pour porter plainte contre la grande société d'ordinateurs.
Mercantilisme
Mais l'auteur de l'ouvrage et son éditeur ne sont pas eux-mêmes exempts de mercantilisme dès lors qu'ils montent une immense opération commerciale pour assurer la vente du livre tous azimuts, sachant l'intérêt que le monde accorde à tout ce qui a trait à la Shoah.
Depuis le film de Claude Lanzmann (1985), somme définitive sur la question, uvre magnifique qui parvient à tout dire avec une décence appropriée, le shoah business a pris des proportions inquiétantes. Si Steven Spielberg, avec « la Liste de Schindler », a produit une uvre émouvante, mais qui ne se compare pas avec « Shoah », beaucoup d'ouvrages dits historiques parus par la suite ont été rédigés par leurs auteurs avec le désir peu scientifique d'apporter des éléments nouveaux qui tendent parfois au révisionnisme. Le dernier en date est celui de Norman Finkelstein qui, en publiant « l'Industrie de l'holocauste » s'est couvert de ridicule. Il s'agit d'un ouvrage qui, pour être original, n'a pas trouvé mieux que le négationnisme et n'a été applaudi que dans les officines antisémites.
Il est vrai qu'à vouloir trouver un plus grand nombre de responsables à la solution finale, à insister sur le rôle de ceux qui, sans l'avoir inventée, en ont tiré un profit, à démontrer qu'elle s'est nourrie aussi de l'indifférence des gouvernements en guerre contre l'Allemagne hitlérienne, on en arrive à oublier les premiers (et en somme uniques) coupables. Même si c'est vrai, dire qu'IBM a mis ses systèmes cartographiques à la disposition des nazis, c'est un peu laisser entendre que Hitler ne serait pas parvenu à ses fins sans l'aide de la technologie américaine. C'est un peu comme si on rendait responsables de la déportation des Juifs ou des résistants vers les camps de la mort les mécaniciens qui conduisaient les trains.
Bien entendu, les recherches auxquelles a conduit le succès du « Shoah » de Lanzmann (des livres publiés des années auparavant par des historiens compétents et intègres n'ont jamais obtenu un succès populaire comparable) ont souvent été utiles. Il n'était pas superflu, par exemple, de démontrer que de sinistres hommes d'affaires ont gagné, à la faveur de la solution finale, des sommes considérables ; que les banques suisses, après avoir démenti l'existence de « comptes dormants », ont peu à peu reconnu l'importance du trésor qu'elles détenaient et ont fini par consentir à rembourser aux descendants des victimes la somme de 1,25 milliard de dollars.
On sait parfaitement aujourd'hui que non seulement les nazis ont commercialisé les vêtements, la peau et les cheveux de leurs victimes, non seulement ils se sont emparés de tous leurs biens, mais que de répugnants personnages, notaires détenteurs de sommes en liquide, voisins épiant le départ des Juifs arrêtés pour dévaliser leurs appartements ou plus simplement les occuper, commerçants qui s'emparaient des locaux laissés vacants par leurs concurrents, se sont conduits comme des vautours.
Mais ils n'ont jamais constitué que l'épiphénomène du cataclysme. S'ils n'ont pas grandi l'humanité, ils ne suffisent pas, en tout cas pas plus qu'IBM ou les banques suisses, à remettre en cause le rôle inventif, initial, déterminant du nazisme. Il ne faudrait pas se concentrer sur les complices ou sur des opportunistes et oublier le criminel. Il ne faudrait pas non plus inventer, au nom de la vérité historique, un complot mondial où seraient impliqués, en dehors des nazis, les gouvernements qui n'ont pas voulu bombarder les camps de la mort, qui ont refusé d'organiser la fuite des Juifs hongrois (laissant le malheureux Wallenberg faire seul son travail admirable de sauveteur), toutes les grandes entreprises de l'époque, les pays neutres qui ont adopté une attitude un peu trop prudente, bref tout le monde. En rendant coupable le monde entier, on finit par relativiser la spécificité du nazisme, idéologie de mort, et crapuleuse de surcroît.
Le cas de l'Italie
Le nazisme a effectivement contaminé beaucoup de gens, et même des gouvernements, et même certains de ses propres ennemis. Mais il a révélé aussi une foule de vocations humanistes chez des inconnus qui ont risqué leur vie et l'ont souvent sacrifiée pour ne pas perdre ce qu'ils considéraient comme plus important : leur humanité personnelle.
Il suffit, pour bien comprendre le phénomène, de se souvenir de l'Italie fasciste qui, en définitive, a aussi bien protégé la vie, sinon la liberté, de ses Juifs que les Etats engagés dans la guerre contre l'Allemagne, jusqu'au moment où les forces hitlériennes l'ont envahie.
En ce sens, il est extrêmement imprudent, pour ne pas dire suspect, d'associer dans la même opprobre les comportements lâches ou indifférents et l'hitlérisme. Ces comportements représentent plutôt une infection opportuniste. Ils tuaient eux aussi, mais sans le nazisme, ils n'auraient pas existé.
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