O N ne dissertera pas indéfiniment sur l'escale judiciaire d'Alfred Sirven en Allemagne. De toute évidence, les autorités française, dans leur hâte à obtenir son arrestation et son extradition des Philippines, ont oublié l'essentiel, c'est-à-dire l'intendance, ou encore un avion direct de Manille à Paris pour cet homme très recherché et son escorte.
Les explications fournies par Lionel Jospin et par la ministre de la Justice, Marylise Lebranchu, n'ont pas été vraiment convaincantes : le dernier avion pour la France avait quitté Manille avant que les formalités d'extradition fussent terminées et le gouvernement n'a pas vu d'inconvénient à ce qu'il prenne un avion pour l'Allemagne, située dans l'espace judiciaire européen.
Sauf que M. Sirven aurait pu refuser son extradition d'Allemagne, ce qui aurait différé son retour de plusieurs mois. L'ancien numéro deux d'Elf n'a pas voulu, apparemment, compliquer la situation et les autorités allemandes n'ont aucune envie d'ouvrir un contentieux avec la France. Ouf ! Lundi, le procès Elf-Dumas a été suspendu jusqu'à aujourd'hui et les juges vont être en mesure de demander à M. Sirven quelques éclaircissements sur une affaire aussi énorme qu'obscure.
Après tout, les sommes détournées s'élèveraient à un milliard de francs ou plus, et on peut supposer qu'il y a encore quelques personnages à Paris qui tremblent à l'idée que M. Sirven puisse apporter des révélations susceptibles de les exposer au scandale. Les plus méchants des commentateurs ont laissé entendre que le gouvernement a fait exprès de faire atterrir Sirven en Allemagne pour laisser à quelques hommes politiques le temps de préparer leur défense ou de détruire des preuves. Nous n'en croyons rien et il nous semble infiniment plus probable que le gouvernement a péché par manque d'organisation. Il n'est d'ailleurs ni le premier ni le dernier à clamer son désir de faire toute la lumière sur un scandale sans avoir pris les mesures de logistique propres à servir la rapidité d'exécution de la justice.
En revanche, si M. Sirven revient, ce n'est pas pour se laisser clouer au pilori sans assurer sa propre défense, qui consistera sans doute à attaquer. Attaquer qui ? Mais d'abord les gens qu'il aurait corrompus en les arrosant de billets de banque. Nous risquons donc de voir cette affaire se répandre comme la gangrène et infecter davantage encore le monde politique. Alfred Sirven expliquera ensuite que toutes les grandes affaires, et principalement celles dans lesquelles l'Etat est mêlé, se traitent de la sorte et que dépenser un milliard pour assurer à Elf ou à d'autres entreprises de solides positions commerciales, cela s'appelle servir les intérêts de la France. Il ajoutera qu'il avait le feu vert du gouvernement de l'époque et même celui de François Mitterrand, ce qui ne contribuera pas à l'amélioration de l'image laissée à la postérité par le président défunt. Mais peut-être M. Sirven s'empressera-t-il de préciser que les gouvernements, de droite ou de gauche, se comportent de la même manière, dans le domaine très secret et très compliqué des ventes d'armements qui ont des connotations géopolitiques.
M. Sirven confondra-t-il ou au contraire disculpera-t-il Roland Dumas ? Un fait patent demeure, à savoir que l'ancien ministre des Affaires étrangères était hostile à la vente de frégates françaises à Taïwan, hostilité qu'il a consignée par écrit dans une lettre au président de la République d'alors, et que, si Mme Deviers-Joncour avait pour tâche de changer sa position, elle n'y est point parvenue en dépit des sommes considérables qu'Alfred Sirven lui a versées. En d'autres termes, le corrupteur n'est pas nécessairement efficace et, si les frégates ont été, en définitive, bel et bien vendues, c'est parce que François Mitterrand a écarté les objections de Roland Dumas. C'est le président, plaidera M. Sirven, qui a pensé que la France ne pouvait pas manquer cette bonne affaire et je n'ai rien fait d'autre, avec l'argent d'Elf, qu'aider mon pays. Pour le moment, la justice a séparé l'affaire Elf proprement dite et celle des frégates, les ventes d'armes exigeant, en cas de procès, un tribunal exceptionnel. Mais le témoignage de M. Sirven pourrait bien démontrer que toutes les affaires sont mêlées et qu'on ne peut pas examiner l'une en ignorant l'autre.
Il ne faut pas oublier que Christine Deviers-Joncour a été la victime d'une lettre anonyme envoyée à un juge d'instruction. On en vient donc à se demander si l'affaire Elf n'est pas l'arbre qui cache une forêt dont d'autres lettres anonymes feraient apparaître le foisonnement.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature