Edouard Louis a-t-il lu Jean-Luc Lagarce ? En tout état de cause, un fil, une filiation (?) peut être tissé entre les deux œuvres, mises en scène à Paris dans deux théâtres nationaux. Elles témoignent du chemin parcouru mais aussi de la rupture de ton opérée en une génération. Avec le Pays Lointain, Jean-Luc Lagarce livre une œuvre testamentaire. Reprenant le thème de Juste la fin du monde, atteint par le VIH, il explore le thème du retour du fils prodigue qui s'est émancipé de son milieu familial, populaire, provincial pour aller vivre ailleurs une homosexualité toujours difficile à assumer du moins qui ne relevait pas encore du discours politique mais de l'intime. Au soir de sa vie, Jean-Luc Lagarce ne livre pas un combat, ne s'imagine pas en procureur. Ici se mêlent les vivants et les morts, la famille que l'on hérite et celle que l'on se crée par ses amours, ses amis. Est-il utile de préciser qu'elles ont quelque mal à cohabiter ? Seul le théâtre permet d'en envisager la rencontre. Et de dire aussi l'impossible, par exemple que l'on va mourir bientôt du sida à ses proches. Son écriture en l'absence de certitude, tend à toujours plus de précision, de rigueur et de force poétique par la répétition et la fluidité du verbe. Elle produit aussi des moments inutiles, des longueurs, quatre heures de spectacle ! et exige des grands comédiens. Dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger, Audrey Bonnet en donne une leçon magistrale. Ce qui n'est pas le cas de toute la distribution ici inégale. Le spectacle, contre toute attente, loin d'être funèbre, est une leçon de vie.
Avec Edouard Louis, en plus de 20 ans, tout a changé. Le sida, Dieu merci, n'est plus une condamnation à mort. On peut vivre sa sexualité sans devoir vivre avec la peur de la maladie. A gauche, le genre, la défense des minorités se sont imposés en politique comme un discours dominant au même titre que la lutte des classes. Et le privé, l'intime n'ont plus de frontières étanches avec le public, le collectif. Le vieux slogan de mai 68, tout est politique, retrouve une nouvelle jeunesse avec Edouard Louis qui à son tour revient sur une enfance brisée, l'incompréhension avec les parents, la famille, et la fracture culturelle lorsque l'on s’émancipe d’un milieu populaire. Mais à la différence de Jean-Luc Lagarce, le verbe est ici violent, accusateur, démonstratif. La misère sociale ne relève pas d'une fatalité. Elle est l'oeuvre des politiques. Et si le père de l'auteur longtemps honni se meurt à petits feux, c'est le résultat de décisions prises au plus haut niveau de l'Etat. La rage s'exprime ici, brut sans le voile de l'art, ou de la nécessaire maîtrise de la langue. On jette des noms propres. Mais faut-il pour autant crier au scandale et jeter l’imprécateur au dehors de l’art ? Sûrement pas. Le monologue joué avec grand talent par Stanislas Nordey qui signe également la mise en scène d’une grande inventivité renouvelle le geste politique sur une scène de théâtre. Quelles que soient les opinions du spectateur, il ne peut rester indifférent. Le texte en dépit de ses faiblesses, de l’absence délibérée de style, impose une prise de position, quitte à le rejeter violemment. Ce n’est pas le moindre de ses mérites…
- Le pays lointain, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Clément Hervieu Léger, jusqu’au 7 avril, Odéon, théâtre de l’Europe, jusqu’au 7 avril.
- Qui a tué mon père, d’Edouard Louis, mise en scène de et joué par Stanislas Nordey, Théatre national de la Colline, jusqu’au 3 avril.
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