En 1918, l'année de l'armistice, l'Empire austro-Hongrois ne va pas seulement être englouti. Quatre de ses artistes les plus singuliers disparaissent, Gustav Klimt, Otto Wagner l'architecte, Koloman Moser et Egon Schiele. Vienne ne sera plus à partir de cette année-là la capitale de la modernité. Elle devra s'inventer un autre destin qui sera, on le sait, funeste. Mais comment comprendre cette effervescence intellectuelle à nulle autre pareille qui a enfiévré Vienne dans les années 1900 ? Expositions et livres tentent un siècle plus tard une nouvelle fois d'en percer les mystères.
La folie explique-t-elle cette formidable créativité ? Après tout, c'est en 1907 qu'est édifié par Otto Wagner le plus grand hôpital pour malades mentaux d'Europe, Am Steinhof, et l'un des chefs-d’œuvre de la nouvelle architecture ? Mais la folie est rarement créative (Cf. entretien sur l'art brut p. 28). Faut-il plutôt évoquer le cosmopolitisme de la ville et ses douze langues et nationalités, évoqué par Jean Clair dans sa très belle introduction au catalogue de l'exposition consacrée à Freud programmée jusqu'au 10 février 2019 au Musée d'art et d'histoire du judaïsme. La piste juive est ici explorée dans la naissance de la psychanalyse alors que son créateur s'est toujours présenté comme un juif athée. L'amour de l'Italie et de son art aurait en fait joué un rôle fondamental dans cette invention selon Gérard Haddad. En tout cas, cette judéité ne peut rendre compte de l'ensemble du phénomène. Dans le beau livre Vienne 1900, le lecteur découvre les multiples domaines où s'est illustrée cette créativité viennoise. Outre la peinture, le modèle viennois s'est illustré sur d'autres terrains de jeux, les arts appliqués et décoratifs par exemple à travers l'extraordinaire aventure de la Wiener Werkstätte. Même dans la mode ou les bijoux, un style viennois a pu rivaliser avec celui de Paris. C'est un art total qui ignore les frontières de la bienséance. Et n'hésite à pas à assurer la décoration d'un nouveau cabaret. Cet art qui investit au-delà de son rayonnement est alors combattu par Adolf Loos qui s'insurge de cette emprise. Dans le même temps, l'heure est à la subversion, ou plutôt à l'émancipation de la dissonance, le concept créé par le musicien Arnold Schönberg et repris par Dieter Buchhart, le commissaire de l'exposition Egon Schiele à la Fondation Louis-Vuitton jusqu'au 14 janvier 2019. Ici les corps sont tortueux, anguleux. Le mot d'ordre du peintre est « Tout est mort vivant ». Mais avant la mort, le sexe se dénude, se montre, s'exhibe, et n'a plus rien à voir avec le Beau idéal. Dans ce domaine, Schiele avait été précédé par Courbet et son Origine du monde prêté par le musée d'Orsay le temps de l'exposition consacré à Freud. Est-ce le dévoilement du sexe qui serait donc outre à l'origine du monde, le moteur de la modernité viennoise ? Peut-être, mais pour la première fois depuis les Lumières, un mouvement ne promet pas le progrès pour tous, mais installe une autoréflexion « comme critique instrumentale d'elle-même. Georges Clemenceau, qui haïssait l'Autriche, ne lui pardonna pas cette intelligence », écrit Jean Clair. Mais ceci est une autre histoire…
Vienne 1900 par Christian Brandstätter, Daniela Gregori, Rainer Metzger, Citadelles & Mazenod, 165 euros.
Egon Schiele, catalogue de l'exposition. Ed. Gallimard, Fondation Louis Vuitton. 35 euros. Freud du regard à l'écoute. Ed. Gallimard, Musée d'art et d'histoire du judaïsme (MAHJ), 39 euros.
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