La guerre des vaccins est déclarée. À coups d’effets d’annonce, les politiques de tous pays et de tout bord se sont lancé le défi de la course au vaccin contre la Covid-19. En tant que médecins, notre conviction est que face à ce virus à ARN contre lequel nous n’avons pas de moyen thérapeutique curatif démontré, le vaccin apparaît comme la solution incontournable pour limiter la pandémie. À ce stade, nous savons l’engagement des laboratoires de recherche scientifique, mais aussi de l’ensemble de la big pharma pour réussir cette prouesse technologique au bénéfice de la population mondiale dans le délai le plus court possible.
Mais voilà, se joue un scénario compétitif qui pose problème. La première guerre d’influence internationale sur les stratégies vaccinales date de « l’Ottocento » avec Pasteur. L’actualité du nouveau virus nous interroge en termes techniques et éthiques face à un conflit potentiel. Vladimir Poutine annonce le succès de la recherche russe, les grands groupes industriels du secteur pharmaceutique européen ou nord-américain, ont signé des contrats préférentiels avec certains gouvernements nationaux pour une attribution dédiée à la limite de leur pays.
Quels sont les bénéfices attendus de telles tractations ? À l’évidence l’intérêt court-termiste est la possibilité pour les politiques de pouvoir mettre à l’abri la population de leur pays face aux dangers de l’infection virale. Pour limiter les complications létales et les problèmes médicaux, mais aussi pour rendre de nouveau possible une vie « normale » où les élèves iraient à l’école, les travailleurs à leur force de production, et les personnes âgées à l’abri du danger ces dernières ayant payé le plus lourd tribut.
Mais le nationalisme médical qui de fait reviendrait à exclure nos voisins proches ou lointains de ce bénéfice thérapeutique, est bien difficile à défendre. Faut-il concevoir que l’avantage compétitif de remettre une force de production en ordre de marche avec un temps d’avance sur des concurrents potentiels, serait à négliger en termes économiques : non, et en stratégie préférentielle pour bénéficier d’une position dominante, non plus. En éthique par contre, cela n’est pas même envisageable.
Les chercheurs explorent actuellement des voies différentes mais souvent innovantes. Nous sommes convaincus sans maîtriser le délai nécessaire, de l’efficacité de ces engagements de recherche sous pression. Cette crise va créer comme tout évènement majeur, une rupture historique dans nos sociétés mondialisées. La régulation économique ne faiblira pas, ses modalités d’application vont néanmoins évoluer. Ainsi une priorité ou une préférence dédiée à un seul État serait intenable, aussi bien en termes de délai d’accès que d’autorisation. La santé publique mondiale se heurtera sans aucun doute à une question politique et morale. À qui devront bénéficier les avantages de la science, à leurs financeurs ou à l’humanité dans son ensemble ? Nous savons les logiques en présence entre retour sur capital investi (ROIC) de la part d’acteurs économiques en santé, ainsi que le support stratégique d’investissement par des gouvernements engagés mais en lutte d’influence. Certains industriels de la santé engagés dans l’invention d’un nouveau vaccin évoquent le principe d’une « marge bénéficiaire éthique », ce qui est un concept nouveau restant à définir. Les éventuels avantages stratégiques obtenus seront fortement commentés mais le principe d’une égalité d’accès doit être privilégié en suivant les recommandations des organismes internationaux au premier rang desquels l’OMS.
Les enjeux médicaux seront à anticiper car les problèmes potentiels sont nombreux : une éventuelle iatrogénie induite, même si dans le meilleur des cas elle est inférieure à 0,001 % pourra poser problème si la vaccination concerne 7,5 milliards d’individus. On sait par ailleurs que les régimes d’autorisation et de sécurité vont devoir restreindre les délais habituels. Et quelle protection juridique pour l’éventuelle innovation mise sur le marché, si des similaires sont proposés ? Enfin le process industriel, au-delà de la découverte par elle-même et nous évoquons alors la chaîne de production, reste un défi organisationnel majeur à résoudre.
L’éthique médicale, nous n’en doutons pas, sera invitée au débat et nous gageons qu’elle devra gagner la partie. Le nationalisme en santé n’a pas sa place, les logiques habituelles uniquement commerciales non plus. La lutte politique de la course au vaccin comme en d’autres temps la course à la lune, n’a pas de raison d’être. Le virus est ubiquitaire, son traitement doit pouvoir être accessible rapidement pour tous. Les grandes démocraties doivent pouvoir démontrer qu’elles sont le réel vecteur du progrès scientifique médical, et que le bénéfice collectif pour la population mondiale est la seule cible légitime grâce à nos moyens financiers conjugués. À ce propos, l’Europe doit certainement s’impliquer comme acteur majeur du progrès social car la Seconde Guerre mondiale du vaccin ou « World Vax War » ne doit pas avoir lieu.
Brève
World Vax War II par Paul Garassus et Christian Hervé
Publié le 03/09/2020
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Covid-19
Dr Paul Garassus, président UEHP (Union européenne des hôpitaux privés) et vice-président SFES (Société française d’économie de la santé) ; Pr Christian Hervé, chef du département d'éthique et d'intégrité scientifique de l'hôpital Foch. Université de Pari
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Source : lequotidiendumedecin.fr
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