Courrier des lecteurs

IVG tardive : une charge psychologique et émotionnelle très lourde

Publié le 03/11/2020
Médecin néphrologue et spécialiste de bioéthique, l'ancien sénateur de Meurthe-et-Moselle revient sur la récente proposition de loi allongeant le délai de recours à l'IVG. Selon lui, cette réforme entraînerait des conséquences médicales et logistiques lourdes à mettre en œuvre.

IVG : un allongement du délai au bénéfice de qui ? La question du Pr Maurice Collin («Le Quotidien» du 23 octobre) relative à la proposition de loi Battistel et Muschotti pour passer l’IVG de 12 à 14 semaines est pertinente, et la réponse est claire : il s’agit d’améliorer les conditions d’accès à l’interruption volontaire de grossesse, simplement (!) « en fluidifiant » le parcours des femmes désireuses de faire pratiquer une IVG en allongeant les délais de recours de deux semaines afin de pallier la pénurie de l’offre et les inégalités territoriales…

Permettez-moi un bref retour en arrière… de 19 ans. Nous sommes en juillet 2001… Dans la loi N°2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, l’article 2 est ainsi rédigé : Dans la deuxième phrase de l’article L. 2212-1 du même code les mots : « avant la fin de la dixième semaine de grossesse » sont remplacés par les mots « avant la fin de la douzième semaine de grossesse »

J’interviens dans le débat sénatorial de ce projet de loi, et j’apporte des précisions qui ont été oubliées depuis et gardent leur actualité. Elles font référence aux conséquences « médicales » du report de l’IVG, et aux conséquences « logistiques » qui en découlent.

Les conséquences médicales :

Pour pratiquer une IVG, le délai le meilleur et reconnu comme tel est de six à huit semaines de grossesse. Après douze semaines d’aménorrhée, le système nerveux est déjà bien formé, ce qui rend hautement probable la souffrance du fœtus, surtout par la méthode instrumentale. Au-delà de la 10e semaine, l’aspiration par une canule est impossible, l’ossification de la tête du fœtus rend le geste médical aussi délicat techniquement que psychologiquement. Avec l’IVG médicamenteuse, le taux de rétention placentaire justifiant une évacuation chirurgicale est de 10 %

Les conséquences logistiques

L’Académie de médecine et l’Ordre des médecins ont insisté sur la nécessité de précautions médicales renforcées, l’existence d’un plateau technique chirurgical, la compétence des intervenants et le recours à la discipline d’anesthésie-réanimation.

Dans son avis, l’ANAES indique que l’interruption de grossesse dans la treizième et la quatorzième semaine d’aménorrhée relève de la technique chirurgicale. Le conseil scientifique de l’Agence précise que « deux semaines supplémentaires de grossesse ne sont pas anodines, en particulier pour l’IVG médicamenteuse ». En ce qui concerne les IVG chirurgicales le conseil scientifique ajoute : « Du fait du volume fœtal, la simple aspiration du contenu utérin n’est pas toujours possible et il peut être alors nécessaire d’avoir recours à des pinces spécifiques. »

Concrètement, ces mises en garde auraient dû imposer au gouvernement une nouvelle organisation des centres d’orthogénie. Il n’en a pas été tenu compte.

Toutes ces données n’ont pas été fournies par le gouvernement dans son projet de loi. Elles sont extraites d’une enquête que j’ai réalisée, en janvier 2001 en Lorraine, puis par l’envoi d’un questionnaire à 220 centres d’IVG répartis à travers toute la France au-delà, uniquement auprès des Centres pratiquant l’interruption volontaire de grossesse (132 réponses sur 230 questionnaires adressés) « C’est bien la première fois qu’on nous consulte » était-il souvent mentionné.

Je doute que les auteures de la proposition de loi qui ont ignoré l’historique de l’IVG s’en soient préoccupées ! Elles auraient pu découvrir ainsi que les équipes les plus engagées dans la pratique de l’IVG exprimaient déjà à l’époque un sentiment de lassitude. Elles affirmaient qu’une IVG tardive entraînait pour celles qui la pratiquaient une charge psychologique et émotionnelle très lourde, qui devenait vite épuisante.

La clarification de ladite « double clause de conscience » n’est pas faite pour y répondre.

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Exergue : Pour pratiquer une IVG, le délai le meilleur et reconnu comme tel est de six à huit semaines de grossesse

Pr Claude Huriet, Sénateur honoraire

Source : Le Quotidien du médecin