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Dossier

Sécurité des soins

Erreurs médicamenteuses : l’erreur de ne pas en parler !

Par Nicolas Evrard - Publié le 11/01/2019
Erreurs médicamenteuses : l’erreur de ne pas en parler !


Dans une patientèle, chaque semaine, au moins une personne serait victime d’une erreur médicamenteuse. Très souvent, les médecins restent discrets lorsqu’ils se trompent dans leur prescription. Déclarer ses méprises est pourtant primordial, rappellent l’ANSM et le Collège de la médecine générale, qui présenteront des mesures concrètes tout au long de l’année 2019 pour prévenir le risque d’erreur.

« Celui qui commet une erreur et qui n’en apprend rien commet une erreur ». Et si les médecins de famille s’inspiraient du philosophe Confucius ? Les erreurs médicamenteuses sont devenues un sujet prioritaire de santé publique. De 2013 à 2017, elles ont fait l’objet de plus de 12 000 signalements auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Dans environ la moitié des cas, elles ont entraîné un effet indésirable, considéré comme grave une fois sur deux.

Cette problématique n’est pas nouvelle mais a été jusqu’à présent surtout abordée en milieu hospitalier. Un événement dramatique a déclenché une prise de conscience :  le décès d’un enfant en 2004 consécutif à une erreur dans la délivrance d’une ampoule de morphine. L’Agence du médicament avait alors créé un guichet “erreur médicamenteuse”. Et des procédures spécifiques ont été mises en place pour limiter ces erreurs (grâce en particulier à des recommandations de la HAS), avant tout à l’hôpital.

Instaurer une culture de la déclaration

La culture de la déclaration de l’erreur médicamenteuse peine en revanche à percer en médecine de ville. L’ANSM et le Collège de la médecine générale (CMG) ont l’intention d’inverser cette tendance. Les deux institutions ont annoncé un plan d’action pour l’année 2019. Le 28 novembre dernier, dans le cadre de la semaine de la sécurité des patients “Les médicaments ? à bon escient !”, une journée consacrée aux erreurs médicamenteuses en ville a réuni à l’ANSM des experts et acteurs pouvant être impliqués : médecins, pharmaciens, infirmiers... et des représentants de patients (1).

Mais de quoi s’agit-il exactement ? L’erreur médicamenteuse, involontaire et évitable, survient à un instant T dans l’enchaînement des événements aboutissant à la prise d’un médicament. « Une erreur peut survenir lors de la prescription par le médecin, de la délivrance du médicament par le pharmacien ou de son administration par un infirmier, un proche ou le patient lui-même, explique le Dr François Lacoin, responsable du pôle médicament au CMG. Un parent peut par exemple se tromper dans la posologie pour un enfant, en utilisant une pipette inadaptée. » Il n’est donc pas ici question de mauvaises indications ou pertinence de traitement.

Signaler ses erreurs

L’ANSM et le CMG souhaitent avant toute chose renforcer la déclaration des erreurs médicamenteuses en ville. Il est important, affirment les deux instances, de sensibiliser les différents acteurs concernés. « Ce sujet doit être abordé en écartant toute notion de culpabilité et traité de façon collective », déclare Dominique Martin, directeur général de l’ANSM. En principe, les erreurs médicamenteuses avérées avec effet indésirable sont à déclarer au Centre régional de pharmacovigilance (CRPV). Les autres le sont au guichet “erreurs médicamenteuses” de l’ANSM. Autre possibilité : reporter tous ces événements sur la plateforme signalement-sante.gouv.fr. D’après le code de santé publique, il est obligatoire de les déclarer quand elles sont à l’origine d’un effet indésirable, même s’il est recommandé de le faire dans tous les cas. 

Un patient victime par semaine

Difficile aujourd’hui d’obtenir des données précises en ville, le nombre de déclarations enregistrées étant bien inférieur au chiffre réel. « On considère que parmi les patients vus chaque semaine par un médecin généraliste, au moins un sera victime d’une erreur médicamenteuse », avance le Dr François Lacoin. Les déclarations à l’ANSM ont été multipliées par presque dix entre 2006 et 2015. Cette augmentation ne prouve cependant pas automatiquement une croissance du nombre de problèmes. Elle « souligne surtout une plus grande sensibilisation des professionnels de santé aux erreurs médicamenteuses », explique Nathalie Grené-Lerouge de l’ANSM, qui détaille les trois types d’ “écarts” possibles. L’erreur est qualifiée d’avérée quand le médicament est administré au patient (elle peut être avec ou sans effet). Elle est dite potentielle quand elle est interceptée avant l’administration du médicament. Enfin, le risque d’erreur médicamenteuse désigne les situations potentiellement dangereuses pour le patient (si par exemple ce dernier ne sait pas lire).

Enfants et seniors les plus touchés

L’analyse des plus de 12 000 signalements d’erreurs médicamenteuses enregistrées entre 2013 et 2017 par l’ANSM permet de tirer de premiers enseignements instructifs : 81 % étaient avérées, 8 % potentielles et 11 % représentaient des risques d’erreurs. Parmi celles avérées, provenant autant de l’hôpital que de la ville, 63 % ont entraîné des effets indésirables, dont la moitié étaient graves. Concernant les erreurs médicamenteuses relevées en ville, 8 % s’étaient produites lors de la prescription, 12 % pendant la délivrance et 78 % lors de l’administration (surtout par voie orale). « Ce fort pourcentage lié à l’étape d’administration est certainement plus bas dans la réalité », tempère Patrick Maison, directeur de la surveillance à l’ANSM. Les populations pédiatriques (35 %) et les personnes âgées (29 %) étaient les premières cibles. Chez les enfants, les erreurs d’administration concernaient principalement la confusion entre les médicaments et la posologie. Chez les seniors, les problèmes d’administration étaient davantage liés à une polymédication.

Les médicaments cardiovasculaires les plus impliqués

Une étude portant sur les erreurs médicamenteuses effectuée en 2017 dans une maison de santé pluri-professionnelle de Bourgogne a apporté de nombreuses données et enseignements, en particulier sur les produits pharmaceutiques impliqués. Durant trois mois, l’ensemble des professionnels de santé de cet établissement, des pharmaciens jusqu’aux aides à domicile, ont noté ce qui leur semblait être une erreur médicamenteuse. Chacune d’elle a été analysée, avec le patient, ses proches et l’aide de différents outils dont la fiche CADYA (2) et la méthode ALARM (3) qui ont dû être adaptées au secteur ambulatoire.

Sur 104 signalements, 64 ont été véritablement considérés comme erreurs médicamenteuses. Ce qui en fait 13 pour 1 000 consultations. Dans 36 % des cas, il s’agissait d’une erreur de médicament, et dans 18 % d’entre eux une mauvaise observance. Là encore, les principaux patients touchés ont été les enfants et les personnes âgées. Sur les 64 patients, onze ont subi des conséquences cliniques de gravité majeure avec, parmi les plus sévères, deux liées aux AVK. Les médicaments cardiovasculaires, les psychotropes, anticoagulants-antiagrégants étaient les principaux médicaments impliqués. Dans 33 % des cas, le problème était situé sur les interfaces hôpital-Ephad/ambulatoire, spécialiste/généraliste. Par ailleurs, dans 74 % des cas, l’erreur médicamenteuse était liée à un contexte d’action du soignant : situation d’urgence, impossibilité d’accéder au dossier du patient, intervention d’un médecin ou pharmacien inhabituels, etc. Les autres fois, les erreurs étaient liées au patient lui-même (problème cognitif par exemple), à un défaut de coordination des soins, au soignant lui-même (surmenage, stress, etc.).

Comment les éviter ?

En pratique, différents conseils peuvent être prodigués pour prévenir les erreurs médicamenteuses. « Il est recommandé de bien relire sa prescription avant de la remettre, explique le Dr François Lacoin. Il faut être vigilant car l’informatique peut être un piège. Aujourd’hui, on a trop tendance à automatiser certaines de nos tâches, en particulier au moment de l’ordonnance, avec par exemple une modification de traitement pas forcément enregistrée. » Pour éviter les méprises, les médicaments peuvent être regroupés par pathologie, le médecin peut écrire sur l’ordonnance la date d’arrêt requise d’un traitement. Surtout, le praticien doit s’assurer de la bonne compréhension de sa prescription par le patient ou ses proches.

La communication entre professionnels de santé (pharmacien-prescripteur ; médecin-infirmier, etc.) est également importante : « Le pharmacien voit plus souvent le patient que nous. Il a des retours d’information que le médecin n’a pas forcément, et qu’il peut être indispensable de partager », détaille le Dr Lacoin.

Améliorer la communication

à l’issue des échanges de cette journée, pour mieux sensibiliser les différents acteurs à ces problèmes et les prévenir, le CMG et l’agence du médicament ont établi un plan d’action. Ils souhaitent que la formation initiale et continue des médecins, pharmaciens et infirmiers intégre la “gestion des erreurs médicamenteuses”. Fin 2019, afin de favoriser le développement d’outils digitaux, un concours sera organisé, peut-être sous la forme de hackathon (session de programmation informatique collaborative sur plusieurs jours). Des actions de communication à destination des professionnels de santé et du grand public sur ce sujet sont aussi prévues.

Autre enjeu de taille, mieux accompagner le patient après l’hôpital via une fiche de suivi du traitement (dé-prescription, changement de dosage au cours de l’hospitalisation...). Une session plénière sur les erreurs médicamenteuses lors du prochain congrès du CMG (4 au 6 avril 2019) est aussi prévue, puis une journée sur la surconsommation des médicaments et la dé-prescription (automne 2019).

1- L’intégralité des interventions a été filmée et peut être
visionnée sur la chaîne YouTube de l’ANSM.

2- La grille CADYA (CAtégorisation des DYsfonctionnements en Ambulatoire) prend en compte les facteurs humains, environnementaux, techniques et les processus de soins.
3- La grille ALARM (Association of Litigation And Risk Management).

Dossier élaboré par le Dr Nicolas Evrard, le Dr Linda Sitruk et Stéphane Lancelot